Bonaventure an 7 d’une petite école libertaire

Les épées de Damoclès

Chaucre, 9 septembre 1999. Un soleil de plomb. Une luminosité à nulle autre pareille Une légère brise d’ouest ne parvenant qu’à faire murmurer les feuilles déjà jaunes de trop de sécheresse des peupliers. Onze loupiots bardés de cartables flambant neufs. L’instit, Laurence, qui entame sa deuxième année avec le regard volontaire des vieux briscards. Agathe, la nouvelle animatrice, qui a déjà trouvé ses marques. Quelques parents, inquiets, comme tous les parents, qui essayent de faire semblant de ne pas l’être Ils sont tous là pour cette septième rentrée de Bonaventure hormis un absent de taille, un pauvre vieux chien noir aboyeur et péteur en diable qui s’est éteint de vieillesse quelques jours auparavant et qui laisse, désormais, orpheline, la pancarte « attention, chien gentil » qui trône à l’entrée de l’école.
 

Une septième rentrée !

Qui l’eut cru ? Qui eut pu penser que cette folie d’une école libertaire laïque, gratuite, ne percevant aucune subvention, gérée par deux cents chevaliers du rêve dispersés aux quatre coins de l’hexagone, arc-boutée sur une propriété collective et une égalité des revenus pour ses travailleurs, et osant l’éducation à, et par la liberté, l’égalité, l’autogestion, l’entraide et la citoyenneté, aurait pu tenir aussi longtemps ? Qui ? Disons-le tout net, personne ! Pas même moi !
Et pourtant, les faits sont là. Bonaventure tient toujours le cap. Le drapeau noir flotte toujours sur la marmite. Reste que deux gros nuages lourds de menaces assombrissent sérieusement l’avenir de cette septième rentrée. Bonaventure, en effet, qui ne survit depuis toujours que grâce au soutien financier d’innombrables camarades solidaires de notre rêve, commun, de tarauder l’hiver éducatif présent de petits perce-neige d’espérances libertaires, s’est tellement installée dans le paysage, que…


En clair, depuis quelques mois maintenant, Bonaventure est à l’agonie au niveau financier et, pour la première fois de son histoire, ne vous lance pas un appel à la solidarité mais un appel au secours.
 

Au secours, donc !

De plus, une mauvaise nouvelle ne venant jamais seule, nous nous trouvons confrontés, à compter de cette rentrée, à une autre menace, largement plus grave.
Il y a quelques mois, en effet, des textes de loi sont sortis qui font planer une menace gravissime sur la poursuite de l’expérience Bonaventure. Sous couvert de lutte contre les sectes, l’État et ses inspecteurs de l’Éducation nationale, les communes et leurs assistantes sociales, l’URSAFF et ses gabelous, le fisc et ses vampires durs aux pauvres, ont désormais tout pouvoir, de vie et surtout de mort, sur nous. Pas au niveau scolaire à la mode de la norme du genre tu ne sais pas, en CE1 que Marignan c’est en 1515, et hop, fusillé. Ta démarche éducative peut laisser à penser que tu prépares mal les enfants à la citoyenneté (laquelle ?)? Et hop, fusillé. Tu bosses bénévolement pour, louche, fusillé.
D’où vient l’argent, louche, fusillé.

Est-il besoin de le préciser, Bonav se réjouit de la lutte de l’État contre les sectes (qui n’ont pas réussi) car ça concerne quand même dix mille mômes et qu’à tout prendre…, se félicite (vu le niveau scolaire existant) de cette préoccupation du niveau, s’émerveille de ce coup de foudre relatif à l’apprentissage de la citoyenneté et ne voit rien à redire à ce que les sectes (toutes les sectes, bien sûr) subissent des contrôles fiscaux et ne perçoivent plus aucune subvention de la collectivité.
Reste que nous savons très bien que l’État ne s’appliquera jamais à lui même sa propre loi (pas fou), que les sectes qui ont pignon sur rue continueront à vendre du catéchisme subventionné, et que le premier crétin venu made in Éducation nationale, assistance sociale ou du con la joie estampillé fisc peut désormais fermer Bonaventure quand bon lui semblera.
Quand ? Sûrement pas quand Bonaventure sera soutenu par des dizaines de milliers de personnes ! Merci d’y croire.

Jean-Marc Raynaud