Face au cynisme du capitalisme

Les luttes sociales sont nécessaires

Dans la presse, à la télévision, à la radio, les médias nous martèlent que la croissance est au beau fixe. Finie la crise, même le FMI nous annonce un avenir radieux. Les statistiques officielles, arrangées par un savant calcul qui exclut les formations, les précaires, les Rmistes, nous soulignent la décrue du chômage. Dans les derniers sondages, les Français sont heureux ! La « société du plein emploi » est programmée pour la prochaine décennie. Malgré l’agitation de M. Chirac, la droite reste toujours dans les choux. Le seul point noir reste la mauvaise prestation de M. Jospin sur France 2 que n’a pu effacer son rattrapage du 27 septembre à Strasbourg.


Depuis l’arrivée de la « gauche plurielle », les automnes se suivent et se ressemblent. Il ne se passe presque plus rien au niveau des luttes sociales. Pas de conflit ou d’action syndicale majeure ni dans les entreprises du secteur privé, ni dans la fonction publique, plus de revendication sur le pouvoir d’achat ou sur les conditions d’emploi. Un calme plat bizarre, entretenu par des infos radieuses. Comme si la société française avait été anesthésiée par le recentrage socialo-libéraliste d’une « gauche plurielle » qui fait le jeu du capitalisme de marché. Cette dérive irréversible signe une véritable crise de la représentation politique Son uniformisation vers l’idéologie dominante montre l’impasse de la démocratie parlementaire, qui prive l’ensemble des membres de la société de leurs responsabilités et de leurs pouvoirs. Sur le terrain, l’inégalité sociale reste une réalité incontournable et la lutte des classes est un concept qui a encore de l’avenir. Ces dernières années, l’état et le patronat ont confirmé le cynisme d’un capitalisme triomphant par des offensives sociales particulièrement violentes : flexibilité et annualisation du temps de travail, attaque du SMIC, des pensions et retraites, campagne contre le statut de fonctionnaire, licenciements dans le privé… Face à la perte de nombreux acquis, l’absence de mobilisation salariale reste inquiétante.
 

Retraites, un débat truqué !

Le débat sur la retraite va être dur à faire avaler. En effet, il faudra travailler jusqu’à 65, 70 ans ou plus, alors que de « vieux » salariés de 45 ans sont licenciés dans le secteur privé. Il sera probablement difficile de prendre les individus pour des imbéciles, en faisant passer les fonds de pension comme la garantie absolue d’une retraite mirifique, et de faire croire que les futurs actifs seront trop peu nombreux pour assumer, par leurs cotisations, le paiement des nombreuses retraites, quand nous connaissons les marges de bénéfice du patronat. Dans ce dossier, politiques, patrons et médias occultent, par exemple, le pourcentage de la valeur ajoutée qui est consacrée aux rémunérations directes et indirectes. Ce pourcentage a diminué de 9 points en 15 ans, passant de 69 % à 60 % entre 1982 et 1997. Ce qui est énorme. Cela représente une importante quantité de richesses dérobée à ceux qui les ont créées et versée aux bénéfices de la classe possédante.

Dans la logique capitaliste, cette baisse indique que depuis quinze ans l’augmentation de la fortune de la haute bourgeoise se fait sur l’échec cuisant des travailleurs prolétarisés et des exclus ; elle explique aussi, pour une bonne part, les blocages et les régressions de toute la société. Il est certain que cette fortune détournée suffirait amplement à offrir une bonne retraite à tous les salariés de ce pays.


L’enjeu financier étant considérable, la classe dirigeante va utiliser toutes les pièces de sa stratégie. Déjà, elle a demandé à M. Charpin, « l’expert-causion », de rédiger le rapport fallacieux que l’on attendait de sa part. La classe politique, le patronat et leurs chiens de garde technocratiques et médiatiques vont nous présenter déjà une situation dramatique, qui contraste avec l’avenir radieux que nous promet la fin de la crise. A chaque situation, il faut choisir ses moyens. L’offensive a débuté cet été, Jospin dans le style faux-cul du défenseur des opprimés, Chirac, comme à son habitude, dans une tirade lourde, puis Kessler, le spécialiste du fond de pension au MEDEF, et bien sûr Aubry. Par cette alternance de bonnes et mauvaises nouvelles, le gouvernement de la « gauche plurielle » pourrait réussir là où Juppé avait échoué, face au mouvement populaire de décembre 1995.
 

Les enjeux de la seconde RTT

Le projet de la seconde loi Aubry est particulièrement injuste pour les salariés. Le conflit porte principalement sur le problème de l’annualisation. En effet, la modulation du temps de travail peut déboucher sur une semaine de 46 heures et cela pour une durée maximale de douze semaines. Le quota annuel d’heures supplémentaires ne sera presque plus taxé (plus 10 %) les trois premières années. Les entreprises signataires sont avantagées. Elles bénéficient d’une aide dégressive de 9 000F par salarié pendant trois ans et la loi ne comporte pas d’obligation d’embauche. La seule concession faite aux organisations syndicales est de ne plus recourir à un double SMIC.


Pendant cette période de négociation entre le patronat et les syndicats, le gouvernement a favorisé une recomposition syndicale qui lui permettra de donner force de loi à ses projets. Il pourra s’appuyer désormais sur « la gauche plurielle syndicale » formée par l’axe CFDT-CGT-UNSA qui entend négocier à partir du cadre législatif et institutionnel déterminé par le gouvernement Jospin. Sur le terrain et à la base, la CGT et la CFDT en lutte se sont démarquées le plus souvent des positions propatronales de la CFDT et de l’UNSA. Il n’en va pas de même dans certaines fédérations CGT (textile, EDF, Cheminots…) et surtout de sa direction confédérale qui tourne le dos à sa stratégie syndicale de classe et de transformation sociale pour s’inscrire davantage dans le cadre d’une « coopération conflictuelle » proche de la CFDT. L’évolution de la CGT est liée à la crise que traverse le PCF. Cette dernière reste particulièrement difficile par son passé stalinien où l’absence de débat pluraliste n’a pas permis l’émergence de nouvelles options politiques en phase avec la société actuelle.
 

Le cas Jaffré, symbole du capitalisme français.

Pour le consoler de son éviction au profit de M. Thierry Desmarest, M. Jaffré Philippe, exPDG d’Elf, aurait touché 300 millions ou peut être 350 à 400 millions. Nous parlons, ici, en francs actuels. Comme point de comparaison le président de la république gagne autour de 100 000 francs par mois, moins de 2 millions par an. De plus il est écrit dans la presse d’entreprise que ce patron était détesté pour son esprit de clan et sa morgue balladurienne. Nous n’osons pas imaginer le montant de sa gratification s’il avait été aimé au sein de son groupe. Dans cette histoire, le capitalisme français a choisi une drôle de modernité, donner à un patron une prime de départ faramineuse dans la plus obscure opacité. Il existe en France, des exclus, des pauvres à 3 500F, des bourgeois à 100 000, voir 200 000 F et en marge une hyperbourgeoisie régie par des règles et des chiffres sans commune mesure, où un jour de malchance, on se retrouve avec une consolation de 300 millions. Mais que sont en fait ces centaines de millions que Jaffré a gagné après avoir travaillé, à côté des dizaines de milliards que Mme Bettencourt gagne à la Bourse, en « dormant » ? Le capitalisme par nature fonctionne aux inégalités. Dans son ivresse il creuse de plus en plus les différences sociales jusqu’à l’intolérable. Quand ceux d’en haut cessent de craindre les réactions de ceux d’en bas, c’est que les pouvoirs politiques et économiques ont perdu leur faculté de régulation. À présent le système lui-même, risque d’être menacé et d’exploser C’est en mobilisant le prolétariat, que nous contribuons peut être à changer.

Michel Sahuc. ­ groupe « la Sociale » (Montpellier)