La Tunisie est un petit pays discret
et méconnu. Sauf peut-être pour les quatre millions et demi
d’européens, soit la moitié de la population du pays, qui
chaque été vont faire bronzette à Hammamet ou Djerba.
La réalité est pourtant tout autre que celle présentée
en vitrine des agences de voyage. La Tunisie est aujourd’hui une immense
prison où l’on torture sans états d’âme, de manière
systématique. Zine Ben Ali, au pouvoir depuis 1987 lorsqu’il a déposé
Bourguiba, le « père fondateur » de la Tunisie moderne,
tient le pays d’une main de fer, du genre de celles que l’on acquiert dans
les casernes. La lutte contre les islamistes a justifié un maillage
systématique et généralisé de la population
; les opposants, même les moins virulents, sont pourchassés,
persécutés, souvent torturés. À deux heures
d’avion de la France, voire même jusque dans les rues de Belleville,
Zine Ben Ali accomplit le « miracle tunisien », pour reprendre
les mots de Jacques Chirac. « Élu » en 1989 et 1994
avec plus de 99 % des voix, le « président Bac moins trois
» comme il est surnommé par ses sujets (discrètement
bien sûr) a été réélu le 24 octobre dernier.
99,51 %. Et encore, cette fois, il y avait des « concurrents ».
C’est à l’occasion de ces élections
doubles, législatives et présidentielles, que Nicolas Beau,
journaliste au Canard enchaîné, et Jean-Pierre Tuquoi, journaliste
au Monde, ont publié « Notre ami Ben Ali », livre qui
rompt le silence et qui s’inscrit dans la continuité du «
Notre ami le Roi » de Gilles Perrault sur le Maroc. Ils retracent
la carrière du général Ben Ali, puis dressent le tableau
peu engageant d’un pays normalisé qui est-ce étonnant
? bénéficie bien sûr de complicités françaises,
de Chirac, Seguin, Frédéric Mitterrand à Bertrand
Delanoë, candidat virtuel du PS à la mairie de Paris en 2001.
Et de la collaboration étroite des services de renseignement pour
la chasse aux « barbus », des intérêts économiques
croisés, de la francophonie, etc. « Ben Ali est un homme politique
moderne qui défend jusqu’au bout les notions d’humanisme et de liberté
», selon Philippe Séguin, toujours aussi fort en images d’Epinal,
qui a salué la nouvelle victoire électorale de Ben Ali comme
« un ancrage du processus démocratique »… Ce livre,
interdit outre-méditerranée, est avant tout journalistique.
Facile à lire, il a le mérite de donner au lecteur, à
un moment où de nombreux regards sont fixés sur le Maghreb,
une vision précise de l’envers du décor tunisien, sans concession.
Bref, un livre qui comble un vide bien entretenu.
Notre ami Ben Ali. l’envers du «
miracle tunisien ». Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi, éditions
La Découverte.