Professionnelle, humanitaire, européenne
Refusons toutes les armées !
La nouvelle militarisation de la société,
française et européenne, impose le réarmement politique
des anarchistes. Plus difficile à percevoir qu’à l’époque
ou l’on utilisait la troupe pour mater les grèves ouvrières,
la menace que représente l’armée pour la liberté semble
se dissoudre dans la disparition du service militaire. On n’entend plus
guère parler des militaires que pour les associer à des opérations
« humanitaire ». Rwanda ou Kosovo, et même la guerre
du Golfe, sont justifiées par la propagande militariste au nom de
l’aide aux peuples en péril. Depuis que le casque est devenu bleu,
la « grande muette » est entrée dans l’aire de la communication,
au même rythme que l’antimilitarisme peinait, s’essoufflait, et finalement
disparaissait. Même les anarchistes ont fait disparaître de
leurs priorités militantes la lutte contre l’armée, ou ne
la ressorte que pour les occasions exceptionnelles : guerre ou 11 novembre
(eh ! oui, on est lucide). C’est qu’il ne servirait à rien d’essayer
de mobiliser une population démobilisée et largement convaincue
que l’armée la protège plus qu’elle ne la menace. Qui plus
est, la peur de la guerre en Europe et de l’instabilité à
la périphérie est et sud de l’Union européenne, l’idéologie
européaniste qui se nourrit d’anti-américanisme, et l’hypocrisie
d’une ingérence humanitaire orchestrée par les États
et leurs troupes, ont détruit le mouvement pacifiste des années
80, dévasté les associations qui luttaient contre la militarisation
de la société. Ce gain politique et idéologique des
militaires aggrave encore le danger que représente le renforcement
de leur pouvoir.
La menace de l’Europe militaire
La militarisation de l’Union européenne
est une réalité incontestable même si elle est souvent
discrète et à géométrie variable. Les évolutions
se situent autant sur le plan des coopérations bilatérales
entre armées (la brigade franco-allemande par exemple) que sur celui
de l’industrie militaire. La récente création d’un géant
européen de l’industrie aéronautique et spatiale destiné
à concurrencer Boeing, inclut au premier plan les préoccupations
militaires. Dans les coulisses de la construction européenne, une
série de mesures ont été prises pour doter l’UE d’une
capacité d’intervention plus cohérente. Cette évolution
dangereuse est récente. il faut dire que l’unification européenne
est restée marquée par l’échec cuisant de la Communauté
européenne de défense en 1954. La France refusait alors le
réarmement de l’Allemagne qui serait devenu inévitable.
Depuis les choses ont bien changé
et la disparition de l’URSS, la réunification allemande, ont levé
les barrières qui interdisaient à l’Allemagne de redevenir
une puissance militaire. La nomination récente d’un général
allemand comme commandant des forces au Kosovo est le symbole de cette
évolution. Cette force européenne reste cependant soumise
à de fortes contradictions internes, à des tiraillements
entre États qui souhaitent tous que l’Europe militaire parle d’une
seule voix : la leur. L’Europe militaire se construit donc, mais dans l’orbite
de l’impérialisme américain dont elle ne refuse pas à
l’occasion de faire les basses œuvres. Mais surtout, l’Europe militaire
est celle de l’industrie militaire. La mondialisation a percuté
de plein fouet ce secteur, que ce soit en Europe ou aux États-Unis.
Elle a accéléré au sein de l’Union la coopération
et l’intégration capitalistique du secteur. Celui-ci dépend
étroitement, de la « recherche développement
» à la vente, de l’État commanditaire. De fait, on
ne compte plus les programmes mis en route par les principaux marchands
de canons européens que sont la France, la grande Bretagne, l’Allemagne
et l’Italie. Il y a là la volonté commune à l’État
et au capital de faire apparaître un véritable capitalisme
européen. Les restructurations imposées laissent les travailleurs
impuissants quand elles ne les poussent pas à suivre les discours
militaristes de la plupart des organisations syndicales (sous couvert de
défense de l’emploi).
Réarmement politique
Il ne serait pas inutile, dans ce contexte,
d’ouvrir des perspectives de remobilisation militante, qui reprennent à
la fois les « vieilles » revendication du mouvement anarchiste,
qui n’ont malheureusement rien perdu de leur valeur ou de leur actualité,
et de nouvelles propositions. Les propositions ou les mots d’ordre pourraient
paraître désuets si la nouvelle militarisation de la société
n’était pas aussi menaçante. Contre l’OTAN et son «
pilier » européen ; dissolution de l’euro-corps au nom de
l’antimilitarisme et pas d’une défense nationale ; réorientation
de la recherche militaire vers des objectifs civils et sociaux ; abandon
total et immédiat de l’armement nucléaire ; vers le désarmement
généralisé ; démystification systématique
des interventions militaires sous couvert d’aide humanitaire : tout ces
slogans et de nombreux autres sont d’actualité. Mais avant qu’ils
ne retrouvent la place qui doit être la leur dans les luttes sociales,
il y a un énorme travail d’explication à réaliser.
La faible mobilisation contre la guerre en Serbie, l’indifférence
totale face à la poursuite des bombardements en Irak, le manque
d’intérêt pour ce qui se passe en Tchétchénie
(si on le compare avec l’Afghanistan il y a quelques années), suffisent
à rafraîchir les ardeurs militantes. Pourtant quand on explique,
quand on démontre ce qui est en train de se produire, l’indignation
succède en général à la surprise. Le sentiment
suivant est l’impuissance, face à de telles forces. C’est pourquoi,
il faut intégrer la préoccupation antimilitariste dans une
dimension plus large, celle des luttes sociales.
Franck Gombaud (Rennes)