Pour une approche socialisée des transports
Si on veut regarder les choses en face,
il faut bien convenir que ce qui provoque les déplacements en voiture,
ce ne sont pas des histoires de comportement incivique des automobilistes
mais bel et bien la structuration spatiale de la ville et les rythmes urbains
: deux grands facteurs que nous subissons bien plus que nous les choisissons.
Les causes essentielles des déplacements sont l’éloignement
géographique entre les différents lieux de vie et la synchronisation
des rythmes urbains. La segmentation de la ville et les temporalités
urbaines comme on dit pour faire savant. Or, l’automobiliste de base n’est
en rien responsable de ces deux paramètres.
Sur la question de la segmentation de la ville
Sur ce point chacun peut constater, depuis
bien des années une tendance lourde à la spécialisation
des espaces urbains (des zones seulement industrielles, d’autres seulement
dortoirs, etc). L’industrie a quitté peu a peu le cœur des villes
pour se relocaliser en banlieue (au nom de l’hygiène des villes
d’ailleurs, motif d’intérêt général que l’on
nous ressert aujourd'hui pour bannir la voiture). Le petit commerce de
proximité s’est effacé devant les grands centres commerciaux
de périphérie (Auchan, Carrefour, etc). Des lotissements
se construisent enfin de plus en plus loin du centre de l’agglomération
On pourrait ainsi multiplier les exemples.
C’est avant tout cette spécialisation
des espaces urbains, ainsi que l’étalement de la ville dans des
périphéries de plus en plus lointaines, qui ont provoqué
un accroissement des distances entre nos différents lieux de vie
quotidiens (travail, domicile, loisir, etc.) et de là résulte
une croissance exponentielle des déplacements urbains. À
qui la faute, encore une fois ? Au prolo ou à ceux qui décident
de la ville ? À travers quelques exemples, la réponse paraît
évidente : l’éclatement de la ville est de la responsabilité
de ceux qui détiennent notre destin dans leurs mains, qui gèrent
nos vies, comme d’autres gèrent des boulons. En aucune façon,
on ne peut considérer que le prolétariat soit responsable
des actes de ceux qui les exploitent et les oppriment.
L’exemple des déplacements domicile-travail
En seulement dix ans, les distances domicile-travail
ont doublé en France passant de 7 km en moyenne à 14 km.
Certains pourrait répondre que
c’est parce que les gens s’installent de plus en plus loin de leur lieu
de travail donc que c’est de leur faute. Analyse encore une fois parfaitement
a-sociale qui ne prend absolument pas en compte la structuration de notre
société. En effet, si les bourgeois et leurs classes dites
moyennes ont les moyens de choisir le lieu où elles habitent et
même d’en changer au gré de leur mutation, le prolétariat
est bien loin d’être dans ce cas.
Pour les prolos, la distance entre le
domicile et le travail ne se choisit pas, elle se subit, Ce sont eux en
effet qui ont pris en pleine gueule ces dernières années
le double durcissement du marché du travail mais aussi du marché
du logement. Le marché du travail a connu ces dernières années
une flexibilisation et une précarisation croissante, ce dont certains
ne semblent pas avoir spécialement conscience. aujourd’hui quand
on trouve un boulot, on sait très bien que ce n’est pas pour la
vie. Pourquoi donc s’en rapprocher quand demain, à la fin du CDD
ou du contrat d’interim, on risque de travailler à l’autre bout
de l’agglomération. Les choses se compliquent évidemment
quand on est en couple et que ce sont les deux qui sont soumis aux aléas
du marché de l’emploi, chacun travaillant par intermittence et chacun
d’un côté de l’agglomération. Faut-il encore souligner
qu’il ne s’agit pas là d’un choix de vie, mais d’obligation.
Avec la fin du plein emploi, ceux qui
sont au bas de l’échelle sociale n’ont ni le loisir de se rapprocher
de leur lieu de travail, ni celui de refuser un job sous prétexte
qu’il est vraiment trop loin. Le marché du logement a connu de même
un très fort durcissement. Le développement de la propriété
privée (favorisée par l’État via les prêts bonifiés)
et la flambée du locatif (via la déréglementation
des loyers) rend de facto extrêmement difficile un déménagement.
Quand on est propriétaire de sa maison Phénix ou Bouygues,
il faut en effet non seulement trouver à la vendre mais aussi à
en acheter une nouvelle qui soit dans nos prix ce qui n’est pas à
proprement parler une simple paire de manche. Pour ceux qui l’ignore, le
marché immobilier a subi ces dernières années une
très forte stagnation et pas seulement pour l’immobilier de bureaux.
De plus, les frais de notaires et autres impôts, font qu’il est souvent
difficile pour les petits propriétaires de maison préfabriquées
de vendre leur logement sans y laisser des plumes.
De même quand on est locataire,
déménager signifie prendre une augmentation de loyer conséquente…
sans compter avec les sommes à débourser pour les loyers
d’avance, caution et autres frais d’agence. En fait, de par le durcissement
du marché du travail et du marché du logement, l’accroissement
des distances domicile-travail ne peut absolument pas être considéré
comme voulu par les salariés, notamment pour les plus pauvres. Ce
sont eux qui en paient déjà le prix économiquement
(ça coûte cher de se déplacer) mais aussi humainement
(ça fatigue aussi).
Sur les temporalités urbaines
L’autre facteur qui aggrave le précédent,
ce sont les rythmes urbains qui mettent dans la rue tout le monde au même
moment. L’importance de ces temporalités urbaines est bien entendu
évidente sur les pics de pollution et les bouchons, Comme pour la
segmentation de la ville, il est clair que généralement nous
n’en sommes en rien responsables, Reprenons simplement les deux exemples
déjà abordés : le travail et les courses. Ce sont
évidemment les rythmes de travail, les horaires scolaires, de bureaux,
d’usines et de commerces qui déterminent le moment où l’on
se déplace pour aller travailler ou pour revenir du travail. Là
encore, est-ce la faute des salariés s’ils se retrouvent tous dans
les rues au même moment ou est-ce la faute des entreprises, des écoles,
etc. qui calquent systématiquement leurs horaires les uns sur les
autres ?
De même pour chaque vacance, on
voit des familles partir toutes quasiment le même jour et aux mêmes
heures (malgré bison futé). Là encore, c’est bien
le fait des entreprises et des écoles qui les libèrent en
même temps sur certaines périodes (juillet, août, noël,
etc.) et aussi la faute des loueurs de vacances qui font systématiquement
démarrer les locations le samedi. Les rythmes d’achats s’imposent
quant à eux au plus grand nombre tous les samedis. Là encore,
ce n’est pas à une question de mode, de tempérament ou d’indiscipline
des consommateurs, mais le résultat des rythmes hebdomadaires qui
nous sont imposés. Durant la semaine, entre le travail et les déplacements
connexes (école, crèche, etc.), on ne risque pas en effet
d’avoir beaucoup de temps pour aller faire ses courses.
Propositions pour une approche socialisée
des transports
Pour nous, anarchistes, la question fondamentale
n’est pas de gérer la misère actuelle dont nous ne nous sentons
d’ailleurs nullement responsables. Le problème de fond est d’apporter
notre contribution à la résolution de la question sociale
dans son ensemble. Les transports n’en sont de fait qu’un aspect.
Pour résorber et maîtriser
les déplacements urbains, il nous semble nécessaire de mettre
en place une politique globale de la ville. Il faut en effet arrêter
la juxtaposition de politiques sectorielles plus ou moins contradictoires
dont les effets induits sont non maîtrisés et trop souvent
catastrophiques. Ceci signifie qu’il faut en finir avec le saucissonnage
en politique de logement (qui produit l’étalement urbain), politique
économique (qui génère la géographie des entreprises),
politique commerciale (qui détermine l’implantation des hypers),
politique des transports, etc. Nous, anarchistes, prônons une approche
globale de l’agglomération urbaine à partir de laquelle des
actions spécifiques en matière de logement, d’économie…
pourront se décliner.
Cette politique globale de la ville ne
peut être conçue comme un simple exercice de style portant
sur la forme et les flux. La ville doit être orientée et façonnée
pour les besoins de ses habitants et non comme une machine abstraite ce
qui, de plus, sert bien souvent à camoufler des intérêts,
sordides. Il n’y a pas de ville belle, il n’y a pas d’air pur, il n’y a
pas de qualité de la ville dans l’absolue. Il ne doit y avoir que
la ville que nous voulons tous ensemble, l’air que nous acceptons de respirer
et la qualité de la vie que nous désirons.
Cette politique globale et sociale de
la ville doit être définie non par des politiciens qui ne
pensent qu’à leur profit personnel, ni par quelques technocrates,
fussent-ils affublés des habits de la sciences, mais par l’ensemble
des habitants. Pour ce faire des débats publics portant sur les
enjeux d’agglomération (quelle ville et quelle vie voulons-nous),
précédée d’une véritable information sur les
tenants et les aboutissants doivent être organisés. Ces débats
donneront lieu alors à des prises de décisions, qui seront
ensuite mises en œuvre par des délégués révocables
nommés sur des mandats précis et impératifs. De la
même manière, une politique spécifique des transports
pourra être définie mais dans le cadre d’une politique globale
de la ville, cette procédure permettant une meilleure maîtrise
(certes jamais parfaite) des effets induits par toute action sur la ville.
En attendant la révolution
Nous, anarchistes, considérons que
le financement des transports urbains doit être pris en charge par
ceux qui les causent à savoir les entreprises les hypermarchés
etc. L’État et les collectivités locales sont effectivement
aussi responsables. Toutefois, les choses étant ce qu’elles sont,
leur demander de payer reviendrait à faire payer le contribuable
via les impôts.
Nous considérons que les habitants
en supportent déjà beaucoup trop dans leur chaire et leurs
finances (voiture, essence, ticket. impôts de toute sorte…). Nous
nous élevons donc contre toute tentative de les faire payer encore
plus.
C’est pourquoi nous sommes pour le financement
des transports urbains par une taxe sur les sociétés prélevée
directement sur les profits et non sur les salaires.
L’exemple lyonnais
Cet argent doit être géré
par une régie mutualiste d’agglomération. En effet l’État
et les collectivités locales se sont montrés incapables de
gérer la question des transports et la question urbaine en général
et y compris en matière de transports en commun. Lyon détient
d’ailleurs le record européen de la diversité des modes de
transports en commun (bus, trolley, métro normal, à crémaillère,
automatique, funiculaire et bientôt tramway). Cette diversité
nous coûte très cher en impôts du fait qu’aucune économie
d’échelle n’est faite. Il est vrai cependant que cela permet à
certains d’en profiter… Cette régie, placée sous le contrôle
des habitants aura en charge le financement de nouvelles infrastructures
comme la gestion de l’existant (entretien réparation…) tant en matière
de transports urbains qu’en matière de transports collectifs.
Paul Boino. groupe Saornil (Lyon)