Précarité : le nouveau servage
Avec la mondialisation la question
sociale se transforme. Les exemples caricaturaux de la Grande-Bretagne
ou des États-Unis, mais aussi de la France aujourd’hui, montrent
que les vielles thématiques de la précarité, de l’exclusion,
de la vulnérabilité, de la ségrégation ou de
la relégation, resurgissent plus violemment que jamais, sous des
formes nouvelles. L’incertitude du lendemain qui fut à travers les
siècles la condition du peuple resurgit là où on ne
l’attendait plus, au beau milieu de la société salariale,
de l’État social et de son arsenal de protections sociales. C’est
que, pas plus que la charité chrétienne hier, la protection
que prétend assurer l’État à ses citoyens aujourd’hui
ne vise à une société solidaire d’égaux. La
poussée capitaliste qui accompagne la mondialisation nous donne
à voir crûment la réalité de la société
d’exploitation dans laquelle nous vivons.
La mondialisation fissure la société
salariale
Le noyau de la question sociale est redevenu
l’existence « d’inutiles » pour la société, de
surnuméraires dont on ne sait trop que faire. Autour d’eux, gravite
une nébuleuse de situations marquées par la précarité
et l’incertitude du lendemain. Cela démontre, s’il en était
besoin, la remontée foudroyante d’une vulnérabilité
de masse.
C’est au moment ou, après des siècles
de contrainte, la civilisation du travail paraît s’imposer définitivement
sous la dictature du salariat que l’édifice se fissure et que la
vieille obsession populaire d’avoir à vivre « au jour la journée
» resurgit. Il aura fallu pour fixer le peuple industrieux à
sa tâche utiliser la force de la législation et des règlements,
la contrainte du besoin et de la faim, puis plus près de nous, la
carotte des « avantages sociaux » et du statut qui prétendaient
faire de la chaîne une protection, avec la bénédiction
des bureaucraties syndicales. Attention cependant, le salariat n’est pas
mort, loin s‘en faut, et la société dans laquelle nous vivons
est encore massivement une société salariale.
Ils veulent nous faire travailler pour
des prunes
Mais la mondialisation, comme les ruptures
de l’histoire qui l’ont précédé, permet de voir le
capitalisme tel qu’il est quand il a jeté le masque et la société
salariale tel qu’elle a toujours été : une survivance du
lointain modèle de la corvée. Les nouveaux serfs sont fixés
à l’usine, vendus avec elle, et souvent même pas gardés.
Ils se retrouvent inutiles et, comme les vagabonds de l’ancien temps sans
aveux (on dit aujourd’hui sans statut ou sans insertion sociale), ils font
peurs. Ces nouveaux exclus, travaillent pour une bonne part d’entre eux,
ce qui ne les empêche pas d’être pauvres. On les appelle les
« working poor » dans le monde anglo-saxon. Ils sont les victimes
des contrats précaires, des temps partiels non choisis, des sous-emplois
d’insertion, mais ils n’encombrent pas les statistiques du chômage.
Bien au contraire, ces nouveaux exclus sont la fierté du capitalisme
libéral qui prétend rétablir le plein emploi. On avait
oublié que le salariat qui occupe aujourd’hui la grande majorité
des actifs, et auquel se rattachent la plupart des protections contre les
risques sociaux, a longtemps été une des situations parmi
les plus incertaines et misérable. On était salarié
lorsqu’on n’était rien, que son état se dégradait,
et qu’on avait plus rien à échanger hormis la force de ses
bras.
La mondialisation et le capitalisme triomphant,
nous rappellent rudement ce qu’est vraiment le salariat. Les libertaires
militent pour son abolition depuis le début et ces tristes évolutions
leurs donnent raison contre les réformistes qui pensent qu’à
forces de petites touches de compromis, la société deviendra
meilleure.
F.G.