Chiffrage du chômage et de la précarité…
Quelles réalités ?
Aujourd’hui, le gouvernement pérore
en affichant une prétendue baisse du chômage. Bien entendu,
chacun sait, intuitivement, que la précarité et le chômage
concernent toujours et, pour un certain temps encore, « des millions
de personnes » ! Mais le caractère plus qu’approximatif des
données disponibles laisse la porte ouverte à toutes les
suppositions : « et si le gouvernement disait vrai ? », «
si la réforme du capitalisme, prônée ouvertement par
les sociaux-démocrates gauche plurielle, permettait effectivement
de retrouver, dans quelques années, le plein emploi ? »
Ceux qui, comme nous, crient à
la tromperie, à la manipulation des chiffres, prennent le risque
d’être vus comme des contestataires systématiques, ne fondant
leur discours sur aucune donnée sérieuse et réelle…
Voilà pourquoi, chercher à savoir un peu plus précisément
ce que peut représenter quantitativement le « champ »
du chômage et de la précarité, est un préalable
nécessaire à notre action de critique politique, du moins
si nous voulons être crédibles…
Les chômeurs ne se perdent pas, ils
se transforment !
Le principal outil de « comptage »
des chômeurs (en dehors de l’estimation faite chaque année
par le BIT) est constituée par les inscriptions à l’ANPE.
Les choses sont d’emblée complexes car il existe pas moins de 8
catégories ! La catégorie 1 comprend les chômeurs à
la recherche d’un temps plein, la catégorie 2, la recherche d’un
temps partiel, la catégorie 3 les chômeurs à la recherche
d’un contrat temporaire ou saisonnier. les catégories 6, 7 et 8
sont l’équivalent des catégories 1, 2 et 3 mais pour les
chômeurs ayant travailler plus de 78 heures dans le mois. Enfin,
la catégorie 4 est celle des chômeurs en formation et la catégorie
5, celle des personnes en contrat CES. Bien entendu, le gouvernement, pour
ses annonces, ne se base que sur la catégorie 1.
En août 1999, l’ensemble des catégories
correspondait à 4 millions d’individus.
À partir de là, nous pouvons
déjà faire un premier constat, essentiel. S’il y a un peu
moins de chômeurs inscrits à l’ANPE en catégorie 1,
(2 865 900 en mars 1999, 2740700 en août 1999) il y a par contre
de plus en plus de « chômeurs intermittents », enchaînant
petits boulots, stages et périodes de chômage total…
Le nombre de chômeurs à la
recherche d’un temps partiel (catégorie 2) s’est accru de 12,4 %
en 1998. Les chômeurs à la recherche d’un temps plein mais
qui ont travaillé plus de 78 heures (catégorie 6) ont augmenté
de 18,7 % (toujours en 1998)… Ensuite, nous savons que de nombreux demandeurs
d’emploi renoncent à s’inscrire dans les agences ANPE, pour diverses
raisons : parce qu’ils n’ont pas travaillé assez pour ouvrir des
droits à l’indemnisation chômage, parce qu’ils sont chômeurs
longue durée et ne croient plus pouvoir retrouver du travail, parce
qu’ils ont plus de 55 ans et que l’ANPE les a dispensé de recherche
d’emploi ou encore parce qu’ils perçoivent le RMI et n’attendent
également plus rien d’une démarche administrative (l’inscription
à l’ANPE pour les Rmistes n’est pas une obligation systématique)…
Là encore, il est impossible d’avoir
des comptes précis et l’on devra se satisfaire d’estimations. On
peut constater aujourd’hui que 300 000 personnes sont « dispensées
de recherche d’emploi » (+ de 55 ans), que le nombre total d’individus
adultes concernés par le dispositif du RMI se monte à au
moins 1,5 million. Par ailleurs, on sait aussi qu’il y a environ 500 000
sans-abris en France qui vivent, par définition, en situation d’exclusion
quasi totale des circuits du marché du travail y compris précaire.
Et des statuts précaires multiples
En tenant compte du fait que ces populations
se croisent et se recoupent de façon complexe dans les statistiques,
il ne semble néanmoins pas exagéré d’estimer à
un bon million le nombre de « chômeurs totaux » non inscrits,
ou régulièrement désinscrits, ce qui porte le nombre
réel de chômeurs à au moins 5 millions…
Comme nous l’avons vu, l’indicateur ANPE,
intègrent le décompte d’un certains nombre de précaires.
Les catégories 2, 3, 6, 7 et 8 recensent en juillet 1999 1,2 millions
de personnes, auxquelles ils faut ajouter les CES (230 000 fin 1999). En
tout, on estimera qu’environ un million et demi de travailleurs précaires
sont déjà comptés dans les chiffres de l’indicateur
ANPE.
Mais leur nombre total est bien supérieur
à ce million et demi.
- On recense en septembre 1999 (chiffres
Liaisons sociales) : 892 000 CDD, 447 000 intérimaires, 492 600
contrats en alternance (apprentissage, contrats de qualifications, d’adaptation,
d’orientation).
- Les emplois-jeunes représentent
aujourd’hui environ 160 000 emplois.
- Les travailleurs (euses) subissant le
temps partiel, étaient déjà estimés en 1997
à 1,5 million. Liaisons Sociales recense en septembre 1999 un total
de 3 232 358 travailleurs à temps partiel. En regard de ces données,
On peut faire l’hypothèse de 2 millions de travailleurs actuellement
en CDI mais à temps partiel subi.
- On peut rajouter encore d’autres contrats
de travail atypiques, comme les contrats pour les commerciaux (fixes minimes
ou « salaires » entièrement calculés à
la commission). Le travail « indépendant », la généralisation
du « missionnariat », qu’une bonne partie du patronat rêve
de substituer au traditionnel salariat, est également en forte expansion
et le tout peut se chiffrer « raisonnablement » à quelques
500 000 personnes.
- Enfin, il faut rajouter les précaires
oubliés du secteur public. Il s’agit des contractuels de droits
privés, de faux CDD renouvelés toutes les années,
de faux CDI comme les « CDII » (Contrat à durée
indéterminée intermittent - l’imagination comme on le voit
n’a pas de limites !). En 1998, le nombre de ces « soutiers »
du public était évalué, par le ministère lui-même,
à au moins 200 000 !
Le nombre total de travailleurs précaires
peut donc se chiffrer allégrement à plus de 4,7 millions.
Au 5 millions de chômeurs que devraient
comptabiliser réellement l’ANPE, il faut donc combiner ce montant
(4,7 millions) et déduire le nombre de précaires déjà
comptabilisés dans les chiffres de l’ANPE (1,5 million). On aboutit
pour ce qui concerne seulement les statuts précaires à l’hypothèse
d’un nombre total de chômeurs et précaires égal à
au moins à 8 ou 8,5 millions. En sachant que nous pourrions encore
rajouter le million de retraités percevant le minimum vieillesse,
ainsi que l’ensemble des salariés au SMIC ou juste au dessus, les
millions de salariés surendettés (l’INSEE estime à
5 millions au moins le nombre de « ménages salariés
pauvres »… Voilà la réalité de la situation,
créée par la barbarie capitaliste avec la complicité
active des politicards de gauche !
Régis. — groupe Kronstadt (Lyon)