Sous-statuts : les femmes en première ligne

Pourquoi faudrait-il toujours que femme rime avec précarité ? Pourquoi faudrait-il que les femmes soient non seulement moins payées, pourtant elles travaillent souvent dans des secteurs indispensables à la production et à la reproduction de la force de travail, et qu’elles soient sous contrat précaire ? Qu’est-ce qui entrave les femmes à se défendre et à monter à l’offensive pour gagner dignité et reconnaissance ? Qu’est-ce qui freine les hommes, les syndicats et les forces sociales à être solidaire ?
 

Les oubliées  des statistiques

Y-en a marre d’évoquer les éternels chiffres des études socio-économiques officielles ou émanant de chercheuses ou de chercheurs. Tout le monde s’accorde sur les situations discriminantes faites aux femmes et à l’avalanche de désavantages qui s’abat sur elles : encore que les chiffres officiels évoquent des catégories comme les jeunes, les immigrés, les cadres, les plus de 40 ans, et que ces mêmes chiffres ne mettent pas toujours en lumière que parmi ces catégories, il y a aussi des femmes. Si nous prenons, la Fonction publique, sur un effectif de 4 millions d’agents, 960 000 sont non titulaires : 420 000 dans la fonction publique d’État, 500 000 dans la fonction publique territoriale et 37 000 dans la fonction publique territoriale (1). L’État ne peut nier l’ampleur du phénomène de précarité d’autant que par diverses mesures, il le suscite et le développe : mise en place des CES, des CEC, des emplois-jeunes. Mais combien de femmes se cachent ou sont cachées derrière ces chiffres et ces catégories ? Je vous le laisse deviner.


Car outre ces sous-statuts évoqués ­ CES, CEC, emplois jeunes, non titulaires ­ il est nécessaire de rajouter, tous secteurs confondus, contrats à durée déterminée, intérim, intermittents du spectacle… et bien sûr le temps partiel. Et là, sans aucun doute, on associe temps partiel à la catégorie des femmes, cela va de soi !


Pourtant, l’emploi salarié féminin s’est installé depuis le début des années 1960. Les femmes continuent d’envahir le marché du travail même en période de chômage, en dépit du chômage, mais aussi au prix du chômage (2). La combinaison des diverses maladies de précarité conduit à un noyau dur de sur-chômage, de sous-indemnisation, de sous-emploi, de sous-salaire, féminin, largement toléré socialement : au bout du compte est généré un processus de paupérisation des femmes.
Car le modèle de statut reste toujours le temps plein réservé au modèle de travailleur fabriqué par le patronat, c’est-à-dire l’homme blanc, beau, jeune, en bonne santé, entre 30 et 40 ans, voire costaud dans certains secteurs de production. Et si on embauche une femme, bien sûr qu’elle doit être jolie, qu’elle n’ait pas d’enfant ou ne risque pas d’en avoir (3), mais ce ne peut être que dans les secteurs où l’homme ne ferait prétendument pas l’affaire ! (4) Mais comme le travail est alors posé comme subalterne, le contrat sera, d’une manière ou d’une autre, précaire, et le salaire toujours considéré comme d’appoint, niant l’individualité des femmes puisque les renvoyant à la cellule familiale, ignorant aussi les réalités sociales dans lesquelles les femmes sont souvent dans une unité monoparentale.
 

Les femmes : une meute d’expérimentation  capitaliste

Des catégories de travailleurs ont, de tout temps, subi des conditions de travail inférieures au reste du salariat. Pour les femmes alors, elles étaient considérées comme armée de réserve, en cas de guerre (pour remplacer les hommes partis au front), en cas de crise économique (pour faire baisser les salaires) : aujourd’hui, l’argument ne tient plus mais « les discours récurrents sur le retour au foyer ont une fonction purement symbolique qui sert à légitimer les inégalités ». Cette division sexuée du monde du travail masque la volonté du patronat d’essayer sur les femmes ce qu’il tente d’imposer à tous les travailleurs ensuite : là, les femmes sont une meute d’expérimentation capitaliste.


Rappelons, pour finir, que cette situation est généralisée à l’ensemble des pays et des systèmes politiques et économiques : c’est pourquoi, la lutte contre la précarité et la pauvreté est un des deux thèmes de la Marche mondiale des femmes, qui se déroulera en l’an 2 000, car de nombreuses femmes, où qu’elles vivent, ne veulent plus courber l’échine ou vivre à genoux mais vivre debout.

Hélène Hernandez. — groupe Pierre-Besnard


(1) Compte rendu des États généraux de la précarité dans la Fonction publique, organisés par la Coordination des travailleurs précaires, 16 mai 1998, Paris.
(2) Margaret Maruani, « Chômage, flexibilité, temps de travail », Les actes des journées intersyndicales des 5 et 6 mars 1998, Formation-débat Femmes-Travail-syndicalisme.
(3) Dans certains landers allemands, les patrons exigent un certificat de stérilisation avant l’embauche de femmes.
(4) Le même raisonnement peut être appliqué aux autres catégories : immigrés, jeunes…
(5) Margaret Maruani, op. cit.