L’intérim : un esclavage moderne

Nous avons toujours en mémoire l’image de ces grands propriétaires terriens du début du siècle qui parcourait à cheval la place du village et désignait du bout de leur cravache ceux qui parmi la rangée de paysans journaliers auraient le droit et le privilège de travailler ce jour-là. Il ne faisait pas bon être pris en grippe pour quelque vétille ou pour esprit de rébellion. La misère totale était garantie à celui qui ne plaisait pas. Pour les autres c’était le droit de se crever au boulot pour pas grand-chose.


Sous une forme moderne, l’intérim développe la même forme de domination et d’exploitation. Il faut en effet savoir que ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui ont recours au travail intérimaire en dépit des campagnes publicitaires qui voudraient nous faire croire qu’on embauche à la pelle des pilotes de lignes ou des cosmonautes ! L’intérim tourne à plein régime et d’une année sur l’autre le nombre d’emplois intérimaires a progressé de 25 %. C’est fabuleux pour les quelque 850 entreprises qui se partagent le gâteau par un quadrillage territorial de quelque 3 800 agences. Même les petites villes sont concernées et l’ANPE travaille de concert avec elles. Le secteur intérimaire est le premier employeur privé en France ! 


Statistiquement parlant, 1,8 millions de personnes passent chaque année par l’intérim. Cela représente 450 000 emplois plein temps et en 1998 plus de 10,4 millions de contrats ont été signés. Ce qui nous donne une durée moyenne d’un peu moins de quinze jours par contrat. Nous touchons là d’un peu plus près la dure réalité de la précarité de cette forme de salariat.
Pour en finir avec les chiffres ajoutons que le volume d’affaires de cette « profession » représente 88,6 milliards de francs de 1998 et que l’activité se concentre essentiellement dans l’industrie (55 %), le BTP (18 %) et le tertiaire (27 %). Le secteur automobile est particulièrement demandeur d’intérimaires.


Actuellement l’intérim grignote petit à petit d’autres formes de contrats précaires comme les CDD alors qu’à priori l’intérim revient plus cher au patronat. Et comme la charité n’arrache pas la gueule des patrons il faut bien en conclure qu’il y trouve leur compte.
Bien entendu tout un arsenal juridique encadre et définit les conditions tant des CDD que des contrats d’intérim. Mais la pratique est une autre paire de manches.


La norme aujourd’hui est que presque toujours la durée du contrat n’est définie qu’à la fin de la « mission » comme ils aiment à dire et que les prétendants à un emploi ont intérêt à être bien vu par les responsables de l’agence à laquelle ils s’adressent.
Pour peu que vous vouliez réellement mettre en pratique le discours qui veut qu’avec l’intérim on travaille quand on veut et avec qui l’on veut, vous expose à de sérieux déboires. Le manque de régularité, les accrocs avec les chefs de la boîte où vous êtes expédiés et autres attitudes qualifiées de « rigides » font que vous êtes très vite rayés des listes et pas seulement dans l’agence où vous êtes inscrit. Par l’expérience de nombre de personnes, nous savons que des listes d’indésirables circulent par ordinateurs d’une agence à l’autre.


L’intérim fonctionne comme un centre de tri qui permet au patronat de se prémunir contre des individus susceptibles de poser des problèmes. Plus question de faire du syndicalisme ou de revendiquer quoi que ce soit. Plus question de s’installer dans une « routine » où l’on travaille avec moins de pression. Il faut constamment donner le maximum. Bien entendu avec une situation économique ou un salarié sur six est précaire l’intérim est perçu par beaucoup comme un sas donnant l’espoir d’accéder à un emploi permanent.  C’est une aspiration légitime au niveau individuel, mais cela ne doit pas nous empêcher d’affirmer que l’intérim est une des pièces maîtresses d’une stratégie de « terrorisme économique » visant à disposer d’une main-d’œuvre corvéable à merci.

Bernard. — groupe Déjacque (Lyon)