Fils d’un vitrier marseillais qui se piquait
de littérature et flirta assidûment avec les monarchistes
de la Restauration, Honoré Daumier (1808-1879) n’épousa pas
les idées politiques de son père. À 22 ans, il est
sur les barricades de Juillet 1830. Le coup de sabre qui l’égratigne
au front ne le dissuade pas, quelques mois plus tard de représenter
Louis-Philippe en Gargantua monstrueux, avalant goulûment de pauvres
miséreux portant sur leur dos des hottes remplies d’écus.
Cette lithographie vaudra à Daumier six mois de prison et 500 F
d’amende. Enfermé à Sainte-Pélagie, il en profite
pour parfaire sa formation de peintre.
La révolte des Canuts en 1831,
puis celle des Mutualistes lyonnais en 1834 déborde vers Paris où
l’enterrement du général Lamarque dégénère
sous les cris de « Vive la République ». Les massacres
de la rue Transnonaim du 16 avril 1834 inspireront à Daumier l’une
des images les plus réalistes et les plus sobres du dessin lithographié.
Quand la censure rend impossible la caricature
politique, Daumier se lance avec la même verve et la même efficacité
dans la satire sociale : De Robert Macaire, archétype du financier
véreux, à Ratapoil, figure grotesque du politicard bonapartiste,
des gens de justice aux dandys snobinards, personne ni aucun régime
n’échappe à son œil malicieux et lucide. Mais le caricaturiste
implacable cohabite avec l’artiste sensible et exigeant : la série
« Les Fugitifs » traitée à la fois en peinture
et en sculpture, apporte un témoignage sensible et tragique des
déportations qui suivirent les journées révolutionnaires
de juin 1848.
Dans les années 1850, Daumier se
consacre de plus en plus à la peinture tout en continuant à
travailler pour « La Caricature » et « Le Charivari ».
Ce dernier le licenciera en 1860 car « ses abominations caricaturistes
» font paraît-il chuter le nombre des abonnés ; pas
pour longtemps puisque le même journal le réembauchera trois
ans plus tard.
L’exposition du Grand Palais présente
une rétrospective assez complète de cet artiste, dessinateur
génial, doué d’une observation extraordinaire, mais aussi
sculpteur et peintre. Daumier nous apparaît comme un créateur
aux multiples facettes, dont le style simplificateur dénote le souci
constant d’aller à l’essentiel sans jamais tomber dans l’anecdote.
L’aspect « non finito » de ses œuvres peintes, mal compris
à l’époque ainsi que la liberté de son pinceau et
de sa palette annoncent les mouvements expressionnistes ultérieurs.
Et le peintre dont Van Gogh a dit en voyant son « Don Quichotte »
: « Il se peut qu’il soit notre maître à tous »
fut peut-être effacé au XIXe siècle par la virulence
du caricaturiste. Républicain radical, Communard, fidèle
à ses idées jusqu’au dernier jour, Daumier refusa la légion
d’honneur en même temps que Courbet.
L’exposition actuelle qui doit durer jusqu'au
3 janvier nous propose un voyage historique humoristique et talentueux
à travers la société du XIXe siècle qui, par
bien des aspects, s’apparente à la nôtre.
Daumier, que n’es-tu encore parmi nous
?