EXPO

Honoré Daumier au Grand Palais

Qu’y a-t-il de plus ridicule qu’un parlementaire ? Peut-être 26 parlementaires alignés, sculptés en terre cuite et caricaturés par Daumier qui stigmatise pour le journal « La Caricature » (fondé en novembre 1830) les « célébrités du juste milieu », en réponse au discours de Louis-Philippe qui prétendait « se tenir dans un juste milieu, également éloigné des excès du pouvoir populaire et des abus du pouvoir royal ».
 

Fils d’un vitrier marseillais qui se piquait de littérature et flirta assidûment avec les monarchistes de la Restauration, Honoré Daumier (1808-1879) n’épousa pas les idées politiques de son père. À 22 ans, il est sur les barricades de Juillet 1830. Le coup de sabre qui l’égratigne au front ne le dissuade pas, quelques mois plus tard de représenter Louis-Philippe en Gargantua monstrueux, avalant goulûment de pauvres miséreux portant sur leur dos des hottes remplies d’écus. Cette lithographie vaudra à Daumier six mois de prison et 500 F d’amende. Enfermé à Sainte-Pélagie, il en profite pour parfaire sa formation de peintre.
La révolte des Canuts en 1831, puis celle des Mutualistes lyonnais en 1834 déborde vers Paris où l’enterrement du général Lamarque dégénère sous les cris de « Vive la République ». Les massacres de la rue Transnonaim du 16 avril 1834 inspireront à Daumier l’une des images les plus réalistes et les plus sobres du dessin lithographié.
 

Quand la censure rend impossible la caricature politique, Daumier se lance avec la même verve et la même efficacité dans la satire sociale : De Robert Macaire, archétype du financier véreux, à Ratapoil, figure grotesque du politicard bonapartiste, des gens de justice aux dandys snobinards, personne ni aucun régime n’échappe à son œil malicieux et lucide. Mais le caricaturiste implacable cohabite avec l’artiste sensible et exigeant : la série « Les Fugitifs » traitée à la fois en peinture et en sculpture, apporte un témoignage sensible et tragique des déportations qui suivirent les journées révolutionnaires de juin 1848.
 

Dans les années 1850, Daumier se consacre de plus en plus à la peinture tout en continuant à travailler pour « La Caricature » et « Le Charivari ». Ce dernier le licenciera en 1860 car « ses abominations caricaturistes » font paraît-il chuter le nombre des abonnés ; pas pour longtemps puisque le même journal le réembauchera trois ans plus tard.
 

L’exposition du Grand Palais présente une rétrospective assez complète de cet artiste, dessinateur génial, doué d’une observation extraordinaire, mais aussi sculpteur et peintre. Daumier nous apparaît comme un créateur aux multiples facettes, dont le style simplificateur dénote le souci constant d’aller à l’essentiel sans jamais tomber dans l’anecdote. L’aspect « non finito » de ses œuvres peintes, mal compris à l’époque ainsi que la liberté de son pinceau et de sa palette annoncent les mouvements expressionnistes ultérieurs. Et le peintre dont Van Gogh a dit en voyant son « Don Quichotte » : « Il se peut qu’il soit notre maître à tous » fut peut-être effacé au XIXe siècle par la virulence du caricaturiste. Républicain radical, Communard, fidèle à ses idées jusqu’au dernier jour, Daumier refusa la légion d’honneur en même temps que Courbet.
 

L’exposition actuelle qui doit durer jusqu'au 3 janvier nous propose un voyage historique humoristique et talentueux à travers la société du XIXe siècle qui, par bien des aspects, s’apparente à la nôtre.
Daumier, que n’es-tu encore parmi nous ?

Yolaine Guignat