Les événements survenus
il y a quelques semaines en Côte d’Ivoire ont contribué à
la nette radicalisation de la crise politico-sociale que connaît
ce pays depuis un an. En effet, à la suite d’une marche de protestation
organisée à Abidjan contre le pouvoir, qui a dégénéré
en affrontements avec les forces de l’ordre, et donnant lieu à des
saccages (1), des responsables du parti organisateur, le Rassemblement
des républicains (RDR) furent arrêtés selon la loi
anti-casseurs en vigueur (loi copiée sur celle de la France). Le
tribunal correctionnel d’Abidjan condamne 11 de ces dirigeants (dont 4
députés et la numéro 2 du parti) à une peine
de prison ferme et 300 000 F CFA (3 000 F) d’amende. Cinq militants de
base écopèrent d’un an ferme et 100 000 F CFA d’amende. Cette
manifestation faisait front à diverses mesures gouvernementales
visant à contrer la candidature de Alassane Dramane Ouartara, leader
du RDR, aux élections présidentielles fixées en octobre
2000.
Mais l’arme la plus sérieuse qu’utilise le pouvoir est le concept d’« ivoirité ». Bédié combat ses adversaires non sur le plan idéologique ou politique, mais au niveau administratif. Cette disposition introduite dans le code électoral avant les élections de 1995 (4) précise que tout candidat doit être né en Côte d’Ivoire de parents ivoiriens de naissance. Les partisans de Bédié prétendent que la notion d’ivoirité définit la qualité de l’appartenance à la nation ivoirienne et représente le ferment de l’unité nationale. On peut surtout y déceler un fort relent de xénophobie, au parfum de préférence nationale locale, et une tendance à l’exclusion plus propice à déclencher une guerre civile qu’à rassembler une population multi-ethnique.
Dans ce pays réputé pour
son hospitalité, qui acceuille plus de quatre millions de travailleurs
étrangers sur son sol (pour à peine seize millions d’habitants)
l’« ivoirité » risque de provoquer des troubles qui
dépasseraient certainement le gouvernement. Déjà,
des expulsions musclées d’immigrés ont eu lieu, selon le
principe qu’il est toujours plus simple pour des dirigeants de mobiliser
des pauvres contre des pauvres.
Les grèves étudiantes de
mai dernier sévèrement réprimées par l’Etat
(5) témoignent du malaise éducatif. On constate également
que la généralisation de la corruption retarde ou empêche
toute initiative issue de la base. Le secteur informel, conséquence
de l’exode rural est en pleine expansion entraînant insécurité
et précarité. Dans les campagnes, les petits planteurs déjà
touchés par la chute des cours des matières premières
(cacao, coton) appréhendent la tenue du sommet de l’OMC et les décisions
qui en découleront, déterminant leur avenir.
Une aggravation de la crise ivoirienne
constituerait un risque majeur de déstabilisation de toute la région,
déjà fragilisée par l’instabilité politique
qui y règne et la remise en question de certains régimes
en place. La radicalisation du gouvernement Bédié privilégiant
la répression plutôt que la concertation laisse entrevoir
dix mois difficiles jusqu’aux élections. Cela risque de faire de
nombreuses victimes parmi la population de base, seule véritable
otage de cette lutte sans merci pour le pouvoir.
Comme on le constate, dans les conflits
modernes, et l’Afrique n’est pas la dernière en ce domaine, les
civils sont les principaux touchés, bien loin des considérations
des politiques et dirigeants. À quand la révolte des populations
africaines toutes unies contre les opresseurs ?