Le révisionnisme de la « gauche rouge »

Ces derniers temps, nous assistons dans les médias et l’extrême gauche dite « gauche rouge » à une dérive sémantique concernant les mots léniniste, bolchevique et libertaire et à une interprétation de l’histoire qui concerne la période de la prise du pouvoir par les bolcheviques en Russie.

Curieusement, nous observons dans certaines œuvres documentaires cinématographiques et publications, la limitation de la dérive néfaste de la politique de « dictature du prolétariat » à la période de la domination de Staline sur ce pays. Cela permet à certains comme Daniel Bensaïd, philosophe et militant trotskiste de la LCR, de se qualifier de léninistes mais libertaire et de se parer d’un antistalinisme pouvant laisser croire que Lénine et Trotsky furent innocents des crimes commis par le parti bolchevique qu’ils dirigeaient.

D’autre part, dans son dernier livre, « Protéger ou disparaître, les élites face à la montée des insécurités », Philippe Cohen trace le tableau du nouveau paysage politique, et à côté des « libéraux-libertaires » (partisans à tout crin d’une société marchande dérégulée), des « étatistes-autoritaires » (prônant le retour d’un État fort), des libéraux autoritaires (tenants d’un ordre marchand musclé), il rajoute une curieuse famille qu’il appelle lui aussi des « bolcheviques-libertaires » ou « bolis ». Dans un commentaire de cet ouvrage pour le journal Marianne du 25 au 31 octobre 1999, Bensaïd conclu : Eh bien, j’en suis ! De cette famille qui prétend unir la gauche morale et la gauche sociale dans une gauche politique et défendre les sans-papiers et la fonction publique. Mais, nous savons que ce type de néologisme a pour logique de marier la carpe et le lapin, dans un beau discours médiatique. C’est une stratégie où se mêlent ruses, mensonges, tromperies, dissimulations, et qui n’est pas étonnante en soi. Elle a toujours été l’arme favorite de Lénine, des bolcheviques, des trotskistes, et de leurs successeurs. Il ne peut rien y avoir de commun entre l’héritage des bolcheviques et celui des libertaires.
 

Un devoir de mémoire

Il nous paraît opportun d’effectuer un bref rappel des faits historiques, surtout quand quelques aventuriers de la politique ou apprentis dictateurs veulent se parer du beau titre de « libertaire ». Le parti bolchevik (de Lénine et Trotsky) crée dès décembre 1917 les premières Tchekas. C’est Djerzinsky, un bolchevik, qui se charge d’organiser cette police politique ancêtre du KGB. Dans ces rangs, on trouve déjà Iagoda, le bourreau qui officiera sous Staline. La première action de ces Tchekas a été de briser la grève des fonctionnaires de Petrograd.

En avril 1918, pour préparer ce qui va suivre, les tchekistes attaquent les locaux anarchistes de Moscou. Il y a 25 exécutions sommaires. En mai et juin 1918, durcissement de la dictature de Lénine, répression des grèves, 205 journaux socialistes sont interdits, dissolution des soviets (conseils ouvriers) non bolcheviks par la force armée.

Le 14 juin 1918, la Tcheka tire sur une marche de la faim à Kolpino, assassinant dix ouvriers et à Ekaterinburg, 15 ouvriers sont tués par les « gardes rouges » lors d’un meeting contre la répression. Nous arrêtons ici, mais cette liste sinistre se poursuit ensuite durant le stalinisme et au-delà… Elle démontre, que le point de départ de la dictature pour asseoir la domination politique des bolcheviks a été surtout la lutte contre les éléments populaires et révolutionnaires de la Russie en désaccord avec leur parti. Cette répression a lieu contre les luttes sociales, ceux qui les mènent et les intérêts de l’ensemble de la population.

Les bolcheviks, bien avant que la réaction « blanche » se soit organisée, mirent en place sous l’impulsion de Lénine et Trotsky, la lutte contre-révolutionnaire. On retrouve Léon Trotsky prescrivant l’ouverture des camps pour des « éléments douteux », lesquels sont des grévistes, des paysans, des opposants de gauche. Trotsky est avec Lénine et Staline, un partisan inconditionnel de la terreur rouge. En récompense, il devint maréchal de l’armée rouge. En tant que tel, il va diriger les massacres à grande échelle lors de révoltes de marins, de paysans et d’ouvriers qui luttaient contre les privilèges que s’étaient octroyés les bolcheviks. Nous ne devons pas oublier le rôle qu’il a joué dans la répression contre le soviet de Kronstadt et le mouvement révolutionnaire autonome de la makhnovstchina.
 

Lénine et Trotsky contre la révolution

Il est important de rappeler que les libertaires qui apportaient leur contribution à la contre-révolution furent écrasés par ceux qui osent à présent s’emparer de leur nom. Le piolet qui a tué Trotsky a été pour Staline, l’acte nécessaire pour se débarrasser d’un ancien complice devenu un rival et non pas d’un antibolchevique ou antistalinien. C’est donc bien la lutte pour le pouvoir qui allait les opposer dès le début pour organiser la dictature d’un parti qui était sous leur contrôle et cela à titre fallacieux du « prolétariat ». Le mythe qui consiste à faire croire que le trotskisme fut une réaction au stalinisme comme s’il s’agissait d’une opposition de fond et non la lutte entre deux ambitions politiques pour s’emparer du pouvoir est un mensonge grossier. Chacun peut vérifier avec nos dates, que de 1918 à 1924, il y a une période de répression terrible pour le peuple russe.

Il y a un fait fondamental à ne pas oublier, c’est qu’un anarchiste, un libertaire, se reconnaît à ce qu’il ne soutient aucun pouvoir ou dictature. À l’inverse du fascisme, du capitalisme et du communisme d’État, l’anarchisme n’a pas sur ses mains le sang des travailleurs.
 

Michel Sahuc. — groupe « La Sociale » (Montpellier)