La Corse sombre dans la violence aveugle
La spirale de la violence fait basculer
la Corse dans le monde des attentats destinés à tuer de manière
aveugle, simplement pour attirer l’attention des médias et établir
un rapport de force entre groupes rivaux. L’attentat récent contre
l’URSSAF a été causé par une charge d’au moins 50
kg. « Ajaccio n’est pas Beyrouth » a alors ironisé le
porte-parole d’un groupe indépendantiste. Certes, mais c’est déjà
Palerme, avec des relents de fascisme et de xénophobie qui conduisent
logiquement les nationalistes à peindre sur les murs « Français
dehors » et à plastiquer le domicile de personnes qui ne sont
pas nées sur l’île. Diverses organisations ont engagé,
au niveau de leurs vitrines politiques, une laborieuse recomposition sous
la bannière d’Unita, officialisée quatre jours après
les explosions d’Ajaccio.
Vrais problèmes et vraie dérive
Cette situation a en fait commencé
il y a environ 5 ans par la lutte sans merci que se sont livrés
divers groupes nationalistes pour le contrôle du « gâteau
» financiers de la lutte politique. C’est là que les nationalistes
ont basculé irrémédiablement dans les activités
mafieuses. Le 1er juillet 1996, Charles Pieri leader de la Cuncolta
a été grièvement blessé, perdant un œil dans
l’explosion d’une voiture piégée. Un attentat qui a coûté
la vie à un autre membre de la Cuncolta, Pierre Lorenzi.
En un an, la guerre entre les différents
mouvements séparatistes corses a tué une quinzaine de fois.
La justice n’a jamais retrouvé le moindre coupable. Cela n’est pas
surprenant quand on sait que les gros bras de la justice antiterroriste
résolvent à peine 2 % des enquêtes terroristes dans
l’île. Le caillou a aussi des allures de gâteau que se disputent,
les armes à la main, des bandes rivales. C’est bien entendu la région
la plus subventionnée de France avec environ 30000 francs par corse
et par an. La dernière loi de finance a d’ailleurs renforcé
cette politique d’assistanat.
Pour comprendre comment une fraction significative
de la population soutient activement les nationalistes malgré leurs
insupportables dérives manieuses, il faut avoir à l’esprit
qu’il n’en a pas toujours été ainsi et que dans les années
1970 les nationalistes ont incarné une espérance réelle
pour les Corses coincés entre le clanisme et l’affairisme. La création
de l’Action Régionaliste Corse (ARC) par les frères Max et
Edmond Simeoni a soulevé un espoir. A cette époque, Paris,
considérant le corse comme un simple dialecte de l’italien, refuse
de lui accorder un statut de langue régionale. L’île qui bénéficie
de mille kilomètres de côtes commence à être
mise en coupe réglée par l’industrie des loisirs. Le nombre
de touristes passe ainsi de 240 000 en 1965 à 512 000 en 1971. Le
schéma d’aménagement de la Corse en prévoyait deux
millions en 1985 (alors que la population locale n’atteint pas 250 000
âmes). Bref, c’est aussi à une véritable « balnéarisation
» de la Corse, que la population a réagit.
Les Corses ont eu peur d’être submergés
par les touristes, les promoteurs et les salariés venus du continent.
Ajoutez une vie politique dominée depuis des siècles par
deux clans. L’un dit de gauche au Nord, l’autre de droite au Sud. Mais
quand l’ARC des frères Simeoni décide d’occuper pacifiquement
une cave à Aléria en 1975 pour dénoncer le sucrage
illégal des vins corses, Paris envoie des hélicoptères
et des milliers de gendarmes. Il y aura deux morts et deux blessés
graves. La répression a été aveugle. Un Corse sur
mille s’est retrouvé en prison ou en fuite dans le maquis. Après
la période répressive à tout crin, le pouvoir parisien
va choisir la compromission la plus basse et devenir lui-même un
des acteurs du jeu mafieu.
Des militants reconvertis dans les «
affaires »
L’exemple de Bastia Securita est éloquent.
La principale société de transports de fonds de l’île
appartient au mouvement nationaliste et sert, entre autre, à prélever
« l’impôt révolutionnaire » et à blanchir
l’argent. La tentative de fermeture de cette entreprise trop voyante a
même été emblématique des approximations de
la politique de l’État dans l’île. La décision de Bernard
Lemaire, alors préfet de Haute-Corse, de suspendre l’autorisation
de fonctionnement de cette société de transport de fonds
a été annulée par le tribunal administratif de Bastia.
La démarche légale n’avait pas été respectée
par le préfet ! La Corse est devenue le seul endroit au monde où
les gangsters n’attaquent plus les transports de fonds, car ils sont à
l’intérieur. Cette situation a tété dénoncé
par ceux des nationalistes qui avaient déjà réussit
à s’en mettre plein les poches. C’est le cas du MPA baptisé
par ses détracteurs le « Mouvement pour les affaires ».
À l’approche de la quarantaine, la plupart de ses militants se sont
reconvertis dans le tourisme, le commerce, les bars et les boîtes
de nuit. Bref, « ils ont déjà mangé »,
pense avec mépris, beaucoup de Corses. Ces anciens clandestins n’ont
plus ni l’envie ni les moyens de lutter contre les troupes d’autres groupes
plus récents, recrutées parmi les petits agriculteurs des
montagnes arides, ou dans les quartiers populaires sud-bastiais de Lupino
et Montesoro qui, eux, « n’ont pas encore mangé ».
Des bandes souvent dépourvues de formation
politique, mais fascinées par les armes. Il est vrai que la dérive
idéologique des indépendantistes corses a pris de telles
proportions que U Ribombu, l’organe de la Cuncolta a été
jusqu’à dénoncer « le lobby sioniste », et à
s’en prendre aux origines de Guy Benhamou, le journaliste de Libération,
dont le domicile a été mitraillé il y a quelques années,
après la publication d’articles sur le racket politique dans l’île.
Cette évolution n’est pas surprenante pour des libertaires qui dénoncent
(seuls !) les véritables natures de l’État et du nationalisme,
mais elle a participé activement au pourrissement de la situation.
Aujourd’hui, le gouvernement Jospin abandonnant son apparente politique
de fermeté sans négociations, invite à Paris tous
les élus de l’île, nationalistes compris et cela sans aucun
préalable quant au terrorisme. Il va y avoir une brochette de ripoux
et de mafieux à Matignon qui n’augure pas de lendemains heureux
pour les Corses.
Franck Gombaud (Rennes)