Israël-Palestine : l’égalité ou rien

 
Nous publions ici un compte rendu de l’émission de radio « Le monde comme il va », présentée par Nasser et Patsy tous les mercredis de 19h30 à 20h sur radio de Nantes. Il s’agit ici d’une présentation du livre « Israël- Palestine : l’égalité ou rien » dont l’auteur Edward Saïd, intellectuel palestinien, enseigne la littérature comparée à l’université Columbia aux Etats-Unis. Loin des sentiers battus et des passages de pommade médiatiques, E. Saïd, a écrit 26 textes, qui depuis la signature des accords d’Oslo en 1993 fait le point sur la situation et les perspectives du peuple palestinien.

Pour beaucoup, la signature des fameux Accords d’Oslo en 1993 fut un de ces grands moments de l’histoire contemporaine. Pour beaucoup, sagesse et bon sens venaient de marquer un point dans un conflit vieux de plusieurs décennies, dans un conflit sanglant qui semblait sans issue. Alors, on célébra, d’un côté, la reconnaissance par l’État d’Israël de l’OLP comme instance représentative du peuple palestinien ; on célébra, de l’autre, la reconnaissance par l’OLP du droit à l’existence de l’État israélien. Et Yasser Arafat serra la main de Rabin sous le regard ému du président américain, les flashs flashèrent, les téléscripteurs téléscriptèrent, et si certains observateurs firent remarquer que cet événement n’était qu’une première étape dans un long processus de réconciliation, rares furent les voix à s’élever et à qualifier cette cérémonie de mascarade honteuse.
 

Israël délegue la répression à Arafat

Pour Edward Saïd, Oslo fut un Versailles palestinien. Un accord terrible entre deux adversaires, l’un, Israël, en plein forme et puissamment soutenu notamment par les États-Unis, l’autre, l’OLP, en déliquescence, prête à tout pour continuer à exister. Car à Oslo, Israêl n’a rien lâché. Au contraire, elle a confié à l’autorité palestinienne le droit de faire la guerre à son propre peuple dans la bande de Gaza, territoire dont la misère et le surpeuplement servent de terreau aux extrêmistes religieux du Hamas et du Djihad Islamique.

Cette stratégie ne doit rien au hasard. Les sionistes au pouvoir en Israël se savaient confrontés à un problème qui demeure encore aujourd’hui incontournable : Israël ne peut rester éternellement une citadelle assiégée, entourée de Palestiniens revanchards, revanchards parce que purifiés ethniquement de leur territoire en 1948. Il leur fallait attendre le moment propice pour faire montre de bonne volonté. Ce moment est arrivé au début des années 90. Face à eux, les israéliens ont trouvé une OLP financièrement exsangue, esseulée sur la scène internationale, dont le leader, vieillissant, était prêt à toutes les concessions pour installer sa cour au pouvoir et finir sa vie à la tête d’un État palestinien, même ridicule, même fantôme. Mais, comme le souligne Edward Saïd, « rien de ce qui s’est passé ne peut se comprendre si l’on ignore la politique régionale américaine, fondée sur une pacification au bénéfice de sa propre domination sur la région, et de son accès au pétrole aux prix les plus bas ».

Six ans après la signature de cet accord, la situation n’est guère brillante. Arafat gère en autocrate son protectorat sous le regard affectueux de Tel-Aviv et Washington. Tandis que la moitié des habitants de Gaza vit dans des conditions sanitaires et sociales déplorables, le clan Arafat, l’appareil politique de l’OLP fait des affaires avec les dizaines de millions de dollars qui lui parviennent chaque mois. L’argent censé servir au développement finit dans les banques suisses ou dans les poches des amis, et dans celles de la bureaucratie pléthorique qui encombre les bureaux de l’Autorité palestinienne. Sans oublier bien sûr le nombre hallucinant de policiers qu’il faut payer ! Et Edward Saïd nous rappelle judicieusement que « Le coût de cette police proliférante se monte à près de 500 millions de dollars par an, ce qui ne laisse pas grand chose pour le logement, l’éducation, la santé, la protection sociale ».

Dans son livre, Edward Saïd ne propose pas de recettes. Ce n’est pas un politicien, il n’est pas intéressé par le pouvoir. Il a conscience que le mouvement national palestinien est arrivé à un point central de son existence. Soit il disparaît, abattu par l’affairisme et la violence politique, soit il régénère son discours en prenant acte :
- d’une part qu’il n’existe pas de solution militaire au conflit israélo-arabe,
- d’autre part que s’il est possible d’obliger les Israéliens à se retirer des territoires occupés, il est aberrant d’imaginer qu’« ils » pourraient disparaître ou retourner en Pologne, en Russie ou en Amérique.
 

Un seul espoir : briser les carcans nationalistes

Conséquemment, Saïd considère que « le seul espoir réside dans une coexistence digne et loyale entre les deux peuples, fondée sur l’égalité et l’autodétermination », que « le défi, c’est de faire cohabiter non pas des Juifs, des musulmans et des chrétiens toujours prêts à se battre, mais des citoyens égaux en paix sur une même terre ». Mais pour se faire, il faut que les palestiniens reprennent confiance en leur capacité à peser sur les événements. « L’un des effets du processus d’Oslo » écrit-il, a été « d’encourager un nationalisme étroit au détriment d’un véritable mouvement social, de dépolitiser la société palestinienne pour l’intégrer dans le moule américain où le marché est roi ».

Tandis que la nouvelle bourgeoisie palestinienne fait montre de son opulence, que sa jeunesse boit du Coca, chaussée de Nike et ne rêve que de Californie, dans les quartiers misérables de Gaza et des territoires occupés, la colère gronde. Cette colère s’exprimait jadis par l’Intifada : la guerre des pierres. Aujourd’hui, l’omniprésence policière l’empêche de s’exprimer. Seuls les plus radicaux franchissent le pas et rejoignent les intégristes du Hamas et du Djihad. Pour un laïc et un internationaliste comme Saïd, le danger est bien là : dans la capacité des Islamistes à capter complètement, à leur profit, la colère et la frustration de la majorité du peuple palestinien, mais également à transformer le combat antisioniste en un combat religieux marqué du sceau de l’antisémitisme et du négationnisme.

Edward Saïd sait bien qu’aujourd’hui, une nouvelle génération d’historiens juifs israéliens s’intéresse de près à la fondation de l’État d’Israël et remet en question l’histoire officielle. Cette nouvelle histoire se fait à tâtons, car il est difficile d’admettre que ses parents ou grands-parents ont pratiqué à l’égard de la population palestinienne une politique d’épuration ethnique, que le massacre de Deir Yassin, le 9 avril 1948, avait bien pour but de provoquer la terreur et conséquemment la fuite en masse des Palestiniens, qu’ainsi les Juifs n’ont pas occupé une terre vierge de population, mais bien un espace multi-ethnique et multi-confessionnel. Pourtant, aujourd’hui encore, le discours majoritaire est celui qu’il décrit : « Les Palestiniens sont des violents, des terroristes, cependant qu’Israël continue à être “une forte puissance démocratique établie sur les cendres du génocide nazi”, mais nullement sur les cendres de la Palestine. C’est cette occultation qui est essentielle pour nier depuis si longtemps les droits des Palestiniens, tant à l’intérieur du pays que dans les territoires conquis en 1967 ».
 

Pour une solidarité des peuples

Mais la solution du problème palestinien ne pourra passer que par une prise de conscience des Israéliens eux-mêmes de la responsabilité historique de leur pays dans cet état de fait. Si Edward Saïd ne se fait aucune illusion sur la capacité de la gauche travailliste israélienne à modifier radicalement sa politique, il espère que de plus en plus nombreux, les Israéliens refuseront la politique mortifère de leur État et, en conséquence, sauront lier leur sort à celui des palestiniens : « si nous nous efforçons, écrit-il, d’expliquer aux éléments démocratiques de la population d’Israël que nous voulons la même chose qu’eux, c’est-à-dire l’égalité des droits et une vie décente dans la paix et la sécurité, nous pourrons nous aider mutuellement dans notre lutte ».


Utopique ? Peut-être. Depuis cinquante ans, les jeunes israéliens sont élevés dans la haine de l’Autre, de cet autre qui vit, parqué, dans la bande de Gaza, de cet autre qui lui jette des pierres et commet des actes terroristes ; depuis cinquante ans, les jeunes palestiniens sont élevés dans la haine de l’Autre, de cet Autre qui a jeté leur famille sur les chemins de l’exil, qui le retient dans des camps, qui le matraque, le tue, l’emprisonne. Depuis cinquante ans, des hommes et des femmes pensent que leur vie n’est possible que si l’Autre disparaît. Mais personne ne disparaîtra et seule la prise de conscience d’une nécessaire solidarité entre les peuples pourra briser le cycle infernal des crimes nationalistes.

Patsy