Ni libéralisme ni État
A Seattle, la mobilisation internationale
qui devait être un gentil défilé d’avant sommet encadré
par des associations et des syndicats très officiellement invités
à manifester mais aussi, rappelons-le, à participer comme
observateurs au sommet de l’OMC a volé en éclats. Ce qui
avait été orchestré comme un soutien « populaire
» à l’Union Européenne face aux États-Unis s’est
métamorphosé en une attaque en règle contre tous les
États.
C’est que nombre d’organisations non prévues
se sont invitées à la fête. Des organisations essentiellement
américaines dont nos camarades de Direct Action network, étaient
loin de croire et de scander que les émissaires européens,
pas plus que les autres, n’étaient de gentils chevaliers blancs
venus au secours de tous les gueux que compte le monde
Il s’agissait pour eux de contester toutes
les formes de capitalisme et tous les États qui organisent ce libéralisme
à l’échelle internationale.
C’est clairement le sens des actions de rue
qui ont délibérément visé au blocage des délégations
gouvernementales dans leurs hôtels, les ont empêchés
de se rendre jusqu’au lieu du sommet, avec l’objectif affiché de
saboter la tenue de cette réunion. Les États étaient
la cible des manifestants parce que ce sont les États en tant que
tels qui organisent le système de domination et d’exploitation asservissant
les populations du nord au sud de la planète.
Ces actions étaient fondamentalement
en rupture d’avec ces tartufes qui en appellent à un retour de l’État
et qui essaient de tenir le haut du pavé par médias interposés
en nous proposant de bonnes règles de fonctionnement qui «
démocratiserait » l’OMC.
Une critique sociale libertaire à grande
échelle
En tout cas ce qui s’est passé à
Seattle renforce les positions des libertaires dans l’idée qu’il
n’est plus question aujourd’hui de perdre son temps à vouloir relooker
une gauche parlementaire complètement discréditée
et s’affichant ouvertement comme co-gestionnaire de notre exploitation.

Cela prouve qu’une approche libertaire de
la critique sociale est en œuvre à grande échelle et qu’elle
ne va pas manquer de peser sur les rapports sociaux dans les années
à venir. Il y a là un enjeu essentiel dans l’élaboration
d’une critique et d’un projet sociétaire capable de mobiliser et
de donner un sens aux révoltes actuelles. Doit-on contribuer à
l’émergence d’une dynamique visant à l’auto-émancipation
des exploités dans des structures à caractère autogestionnaires
ou doit-on investir les officines para-étatiques pour rendre l’État
plus humain ? La question n’est sans doute pas nouvelle, mais se pose dans
des conditions historiques qui nous permettent de nous appuyer sur un bilan
et une réalité militante non négligeable.
Depuis quelques mois, en France, un texte
circule dans les réseaux militants associatifs et syndicaux qui
en appel à « l’autonomie du mouvement social » face
aux partis d’extrême gauche et du PC qui s’essaient à leur
habituelle volonté l’encadrement et de direction des luttes. Nous
savons que la conception anarchiste de la lutte de classes fait son chemin
à travers et dans la multitude d’associations et des petits syndicats
contestataires. L’événement le plus marquant à ce
propos est sans doute le développement de la CNT qui depuis 1995
s’est imposé dans les luttes sociales. La Fédération
anarchiste voit elle aussi le nombre de ces groupes et sa capacité
d’intervention augmentée en dépit des dires d’une presse
qui s’essouffle à nous présenter comme des dinosaures. Sans
doute les gênons-nous dans leur veine tentative de fabrication d’un
" anarchiste citoyen " qui arrangerait bien leur petite conception du militant
républicain idéal. Il nous reste sans doute beaucoup de chemin
à parcourir et beaucoup d’efforts à faire pour être
à même de mettre en synergie toutes les forces et les individus
qui agissent et se réclament de l’anarchie.
Le choix de l’autonomie, de l’entraide et
de la liberté
Sachons tout de même que le point faible
de tout ce beau monde qui aspire à nous diriger d’une façon
ou d’une autre est leur absence de projet crédible. Est-ce que les
trotskistes peuvent encore faire illusion avec une référence
pareille à un assassin ? Est-ce que le PC a vraiment un avenir ?
Jusqu’à quand les syndicats SUD vont-ils ne pas choisir entre investissement
institutionnel et discours autogestionnaire ? Comment une ONG peut-elle
être indépendante lorsque son financement est exclusivement
dû aux bons vouloirs des États ou des entreprises privées
?
La critique de l’État comme outil d’asservissement
et de domination au service du capitalisme est incontournable. À
un moment ou un autre la notion d’État va faire irruption avec force
dans le débat politique parce que selon qu’on choisisse son rejet
ou qu’on l’accepte comme moyen de régulation sociale, cela définit
le projet de société dont nous sommes porteur et nos pratiques
collectives immédiates.
Nous serons amené, chacun d’entre nous
à faire des choix entre deux conceptions des rapports sociaux :
ou nous continuons dans le processus de marchandisation de la vie qui se
produit sous nos yeux ou nous disons stop et proposons autre chose.
C’est pourquoi nous devons développer
nos analyses, nos propositions et notre conception des services publics,
du communalisme, de l’autogestion et du fédéralisme libertaire
comme structures et pratiques alternatives aux logiques étatiques.
Il nous est possible d’impulser un autre présent !
Bernard. — groupe Déjacque (Lyon)