Les immigrés dans la fonction publique

En finir avec la préférence nationale dans l’Éducation nationale

L’intégration des non-titulaires étrangers est une revendication qui pose visiblement un grave cas de conscience à la plupart des organisations. En effet, alors que toutes ou presque, avec plus ou moins de réticences il est vrai, affichent des positions favorables à la titularisation (au moins celle des maîtres auxiliaires), il n’y a guère que SUD, la CNT, École Émancipée et la Coordination nationale pour exiger, en préalable à la titularisation de tous sans conditions, l’abolition de la clause de nationalité. Que cette revendication reste pour l’instant minoritaire n’enlève rien à sa légitimité et nous continuerons à militer pour la voir aboutir. Les esprits évoluent et la publication récente de plusieurs études sur la question nous laisse penser qu’un regroupement plus large sur cette orientation n’est plus tout à fait impossible (1).
 

Une discrimination bien orchestrée

Il existe dans notre pays plus de cinq millions d’emplois « réservés », soumis au régime de la préférence nationale ou européenne, du simple fait des règles de recrutement de la Fonction publique. Cette forme légale de discrimination n’est quasiment jamais remise en cause tant il semble évident au plus grand nombre que les fonctions dévolues à l’État ne sauraient être confiées à des ressortissants étrangers. Ce dogme est pourtant largement battu en brèche aujourd’hui par l’évolution de la législation et, plus concrètement encore, par la pratique même des administrations.

En ce qui concerne le premier point rappelons tout de même que le code du travail interdit toutes les discriminations à l’embauche, notamment celles basées sur la nationalité (article L 122-45). Si de tous temps, l’État s’est autorisé à bafouer cette règle en se donnant le droit de réserver l’exclusivité de ses emplois à ses seuls ressortissants c’est au nom du principe de souveraineté nationale. Cela peut se comprendre pour les postes qui relèvent de l’exercice de cette souveraineté, pour la Fonction publique dite « régalienne », comme la police, l’armée ou la justice, mais l’argument n’est pas légitime dans les autres domaines, qui représentent l’immense majorité des effectifs de fonctionnaires. C’est en tout cas ce que le droit européen a arrêté, contraignant le législateur à modifier le statut de la Fonction publique pour en permettre l’accès aux citoyens de la Communauté (loi du 26 juillet 1991) puis de l’espace économique européen. Ce droit s’applique avec plus ou moins d’empressement selon les pays mais un certain nombre d’États ont déjà largement ouvert leurs administrations « non-régaliennes » aux étrangers. On peut se demander alors, ce qui continue à justifier chez nous le maintien des discriminations, à l’école par exemple ou dans la Fonction publique hospitalière.


Le second point relève du paradoxe : comment continuer à fermer la Fonction publique aux étrangers sous le prétexte que certains emplois ne sauraient par nature leur être confiés, alors que dans le même temps l’administration les recrute en grand nombre sur des statuts de non-titulaires pour qu’ils effectuent exactement les mêmes tâches ? L’alibi ne parvient pas, on s’en aperçoit, à masquer la réalité d’une injustice flagrante dont la raison n’a rien à voir avec la souveraineté nationale.
 

Les immigrés se heurtent aux frontières administratives

L’Éducation nationale, qui emploie des milliers de non-titulaires étrangers pour enseigner dans les régions et les disciplines déficitaires, est l’une des administrations les plus touchées par cette ségrégation. On peut estimer que ceux-ci représentent environ 10 % des maîtres auxiliaires et des contractuels, soit environ 4 000 personnes. Ces collègues exercent souvent depuis fort longtemps. S’ils ont ainsi contribué à former des générations d’élèves, ils n’ont en revanche aucune possibilité d’intégration. À moins bien sûr d’obtenir au préalable leur naturalisation. Par les temps qui courent, il va sans dire que cette exigence est de plus en plus difficile à satisfaire. Surtout, elle semble totalement discriminatoire puisque désormais n’importe quel ressortissant de l’espace économique européen peut lui, à tout moment et sans nécessairement avoir déjà enseigné en France, se présenter à un concours de recrutement.


Doublement précaires, ils ont été et sont toujours victimes des lois xénophobes qui, de Pasqua à Chevènement, polluent notre démocratie. Ils en subissent encore aujourd’hui les conséquences. En effet, certains recteurs ont utilisé cet arsenal répressif pour licencier à tour de bras (une circulaire interne de 1994, annulée par le Conseil d’État en 1996, permettait de ramener le barème des M-A étrangers, pour la plupart sous statut étudiant, à une valeur négative !). 


Certains, après un an de chômage, ont été expulsés. D’autres, qui ont eu plus de chance à l’époque, restent aujourd’hui très lourdement pénalisés puisqu’on ne leur accorde souvent qu’une carte de séjour d’un an renouvelable (pour insuffisance de ressources, défaut d’intégration professionnelle, etc.). Considérés comme « inégaux en dignité et en droits » par l’administration, nos collègues précaires étrangers ne sauraient être exclus de nos revendications. Rien ne justifie, en effet, qu’ils doivent faire l’objet d’un traitement particulier sur le terrain syndical, pas même le sacro-saint statut de la Fonction publique qui, sur ce point, sert de caution à une forme particulièrement odieuse de discrimination.

Christophe. — SUD-Education (Grenoble)


(1) lire à ce sujet : « immigration-emploi et chômage un état des lieux empirique et théorique », dossier n°3 de CERC-association, « inégaux en dignité et en droits », dossier du n° 41-42 de la revue Plein Droit, éditée par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), avril 1999 et « Le modèle français de discrimination », dossier du n° 4 de la revue Mouvements, mai-juin-juillet 1999, éditions de La Découverte.