SUD-CRC : Un bilan 11 ans après l’exclusion des moutons noirs

 C’est au cours du Conseil fédéral des 8 et 9 mars 1989 que la Fédération CFDT Santé-sociaux décida d’expulser ses syndicats de la région parisienne qui au cours de la grève des infirmières et des personnels de santé à l’automne 1998 s’étaient révélés « trop combatifs » dans le soutien à ce conflit, remettant en cause publiquement la mollesse de l’action de la fédération.


En septembre et en octobre 1988, « Ni nonnes, ni bonnes, ni connes » avaient fleuri sur les lèvres des manifestantes et des manifestants, fédérés qu’ils ou qu’elles soient syndiqués, ou non, associés ou non dans des associations professionnelles. En effet, il s’agissait toutes et tous ensemble de revendiquer une dignité et une reconnaissance professionnelle : ne pas se résigner à n’aligner que des actes prescrits mais chercher à donner sens à un travail auprès de personnes malades, souffrantes ou mourantes.
 

Ni nonnes ni bonnes, ni connes

C’est vrai que l’héritage des soignants est avant tout religieux, c’étaient les « nonnes ». Puis se fabriqua l’auxiliaire médical, rien qu’auxiliaire, accessoire comme sont censées être les « bonnes ». Et la technologie évoluant, et la formation initiale devenant plus exigeante, continuer à n’être que dans l’ombre des médecins, soumises à l’obéissance, alors c’était devenir « connes ». La lutte de 1988 fut animée, portée par les femmes, par beaucoup d’entre elles qui n’avaient jamais fait grève et avaient découvert là, solidarité et autonomie, sur le chemin d’une dignité revendiquée.


Les militants et adhérents exclus de la CFDT n’allaient pas se laisser démunir de l’outil syndical au moment où émergeait une volonté de lutte. Après maintes discussions, ils et elles se rassemblèrent en une nouvelle fédération d’abord régionale puis nationale qui prit l’intitulé « CRC », Coordonner-Rassembler-Construire : coordonner à l’image de la coordination infirmière, rassembler toutes les catégories, construire un nouveau syndicalisme pour une nouvelle société.


Dès lors, commença le long travail d’extension et d’implantation syndicale. Tous les droits syndicaux étaient perdus : établissement hospitalier ou social après établissement, la bataille s’engagea à faire vivre une syndicalisme actif alors que la CFDT devenait moribonde. Puis ce fut le partage du droit syndical entre CRC et CFDT, entre action syndicale et antériorité historique. Dans le privé, tous les procès intentés par la CGT ou la CFDT furent déboutés et les élections de délégués du personnel permirent de confirmer l’audience du CRC.
En effet, les luttes continuaient que ce soit avec le CREM (Collectif régional de mobilisation dans le secteur social) ou contre la réforme hospitalière de 1991, contre la guerre du Golfe, contre le chômage avec AC ! ou encore la grève de décembre 1995 en toute intersectorialité contre les ordonnances Juppé : car pour les « moutons noirs » (l) de la CFDT, agir en « interprof » s’impose sur les questions fonction publique, DOM-TOM, santé, transports, éducation ou solidarité internationale.
 

Un syndicalisme en extension

Aujourd’hui, plus de dix années après sa création, le CRC s’est muté en SUD-CRC lors du congrès de juin 1997 : il semblait alors, après les grèves de l’hiver 95 où des syndicats SUD se constituaient peu à peu dans de nombreux secteurs que se rassembler derrière le même sigle permettrait une meilleure visibilité : après le SUD-PTT contemporain du CRC, c’était l’éclosion de SUD à la SNCF, à l’AFPA, dans le commerce, dans l’éducation, dans le secteur bancaire, au trésor, dans les collectivités territoriales… Déjà des liens s’étaient tissés avec le groupe des Dix, dont le SNUI (impôts) en est la cheville ouvrière, aussi bien dans les mouvements contre le chômage ou contre le G7 et les dégâts du libéralisme, ou la lutte pour la réduction du temps de travail. Dorénavant, l’adhésion au groupe des Dix était acquise, à défaut de pouvoir constituer une confédération interprofessionnelle.


SUD-CRC compte 4 000 adhérents et adhérentes issus du secteur sanitaire et du secteur social, de la fonction publique et d’entreprises privées à but non lucratif ou à but lucratif. Aux élections de la fonction publique hospitalière qui se déroula le 28 octobre dernier, le SUD-CRC a réuni 20 000 suffrages et se situe quatrième organisation syndicale sur le plan national parmi les neuf qui se présentaient, et troisième en Ile-de-France avec près de 18 % des voix, derrière la CGT et la CFDT et devant FO. La CFDT n’a pas réussi à écraser un syndicalisme qui prône la transformation sociale. Des non syndiqués ou des anciens de la CGT rejoignent aujourd’hui le SUD-CRC. Caractérisée et stigmatisée comme trotskiste, cette fédération a su rassembler des salariés de diverses sensibilités politiques, des travailleurs qui ont en commun de lutter autant contre les patrons que contre toute forme de bureaucratie syndicale, qui se fédèrent avec l’exigence de maîtriser leurs revendications et leurs formes d’actions, de décider par eux-mêmes pour contribuer à transformer tout autant le secteur sanitaire et social, le syndicalisme (2) et les rapports entre personnes, que l’organisation de la société.
Difficile défi, bien sûr !

Hélène Hernandez. — groupe Pierre-Besnard


(1) C’est ainsi que les surnomma Edmond Maire lors de son dernier congrès CFDT, à Strasbourg, en novembre 1988, avant de lancer la chasse à ses opposants et de réquisitionner les locaux de la bourse du travail, rue Charlot, à Paris, qui étaient jusqu’alors occupés par les syndicats parisiens santé-sociaux et le Comité Régional de Coordination des syndicats santé-sociaux de la région parisienne (le fameux CRC).
(2) Les statuts tels qu’écrits et tels que pratiqués prévoient explicitement la rotation des mandats, le respect de l’expression et des décisions des divers syndicats qui composent la fédération, le non cumul de fonctions politiques et de fonctions syndicales.