Formation d’un gouvernement en Irlande du nord

De la lutte pour l’indépendance à la lutte sociale


Un gouvernement exécutif pour l’Irlande du nord vient d’être formé. Celui-ci est composé du Sinn Fein (branche politique de l’IRA, républicain-catholique), du SDLP (Social democrat labour party, catholiques), de l’UUP (Unionist Ulster Party, parti modéré majoritaire chez les protestants) à qui revient la présidence au travers de son leader David Trimble, et du DUP (Democratic Unionist Party du sectaire pasteur Ian Paisley).


Depuis l’accord originel du « vendredi saint » à Pâques 1998, de nombreuses rencontres des politiciens, représentant l’ensemble des signataires, se sont tenues pour renégocier la mise en place de l’accord. Mais dans la réalité, les véritables problèmes qui touchent l’Irlande du nord n’ont pas été discutés. Il y a peu de chance que l’ensemble des participants de ce nouvel exécutif se soucient subitement des intérêts des classes populaires des six comtés d’Irlande du nord.
 

Un accord au service des classes dirigeantes

S’il y a une leçon à tirer des événements des derniers mois, c’est sûrement que tous les signataires de ces « accords » n’ont qu’un profond mépris pour la population. Nous avons vu surgir et s’accroître, au sein des classes populaires des deux communautés, des formes d’intimidation, de répression (avec des violences physiques) mais aussi de bannissement, exercées par les groupes paramilitaires des deux camps envers tous ceux qui sont socialement (car souvent pauvres) et politiquement trop remuant. Il est important pour la respectabilité des politiciens des deux camps de pacifier, d’encadrer et de contrôler « leur » communauté. Bien sûr, cela n’est pas nouveau, mais aujourd’hui les deux communautés sont plus divisées que jamais tant les désillusions sont grandes. Nous avons notamment assisté à des agressions brutales de la RUC (police d’Irlande du Nord liée à la couronne britannique, Ndlr) contre des manifestants pacifistes afin de permettre la parade des Orangistes (1) sectaires cet été à Belfast, dans la rue Ormeau (2). Ces parades sont une forme normale d’intimidation au sein des quartiers populaires catholiques. Si dans les derniers mois, au cours des négociations, les politiciens des différents partis n’ont pas amélioré la réalité des conditions de vie en Irlande du nord, qu’ont-ils fait ? Et particulièrement à propos des polémiques sur le désarmement de l’IRA ?

Les renégociations de l’accord, orchestrées par le sénateur américain Georges Mitchel, ont visées à trouver une solution pour que le Sinn Fein et les unionistes (3) d’Ulster rentrent ensemble au gouvernement exécutif d’Irlande du Nord, sans perdre la face. David Trimble, le leader de l’Ulster Unionist Party (UUP), était dans une situation très délicate. Il a, personnellement, soif de pouvoir et il est prêt à le partager avec n’importe qui à partir du moment où il en tire une position élevée (et aussi un bon salaire !). Mais, dans son parti, il y a des éléments qui refusent déjà de partager la vie avec des catholiques, donc encore plus le pouvoir. Durant quelques mois, ces éléments ont eu un écho important au sein de l’UUP et plus largement dans la communauté protestante. Tous les désaccords sur les questions de désarmement étaient en réalité de simples excuses pour masquer l’expression de ces profondes conceptions sectaires. Néanmoins, il était inévitable que le gouvernement exécutif allait se former en raison des pressions de la classe dirigeante britannique et des exigences de normalisation politique imposées par la mondialisation du capitalisme.
 

La quête du Sinn Fein

Pour le Sinn Fein, les leaders s’investissent beaucoup dans la quête du pouvoir. Leur rhétorique socialiste a depuis longtemps disparu. Ils ont fait de nombreux pas dans la recherche de la respectabilité. Ils ont fait des concessions aussi large que les unionistes pouvaient en rêver et il n’y a aucun doute que pour l’IRA, désarmement ou pas, la guerre est terminée. Bien que le processus de paix ait abouti à la formation d’un gouvernement éxécutif, les populations de nombreux quartiers catholiques continuent à être les victimes de parades et de harcèlements sectaires. De plus la hausse de la pauvreté et la multiplication des SDF ne cessent de se poursuivre en Irlande du nord. Les conditions de vie des travailleurs continuent à être, dans les six comtés, inférieures au reste du si renommé Royaume-Uni. Il était prévisible que l’accord « du vendredi saint » ne répondrait pas à ces problèmes. Il demeure basé sur la continuation du sectarisme et la division des communautés pour favoriser leur exploitation économique.


Les députés de l’assemblée d’Irlande du Nord doivent siéger soit comme nationalistes (Républicains-catholiques, ndlr) soit comme unionistes (protestants-partisan de la couronne britannique) sinon leurs voix ne sont pas prises en compte. Lors des récentes élections européennes, la principale position du Sinn Fein était l’unité électorale des catholiques. Ils ont troqué la tactique de « l’indépendance par les urnes et les armes » pour « l’indépendance par les urnes et la démographie » (4). Ils attendent maintenant une majorité catholique dans les six comtés pour entrevoir la réunification de l’Ile.
 

Pour une autre alternative

Bien que le cessez-le-feu de l’IRA et des paramilitaires loyalistes (5) soit une bonne chose pour les populations, le processus de paix lui-même ne change pas la condition des classes populaires du nord comme du sud de l’Irlande. Si la paix dure, ce qui semble de plus en plus probable, en dépit des efforts de la Loyalist Volonteers Force (6), des Orange Volonteers (7) et de l’IRA « véritable », les prochaines années peuvent offrir de véritables possibilités pour les révolutionnaires, et particulièrement les libertaires, de construire des alternatives viables aux dirigeants et aux patrons du nord comme du sud.


Sous prétexte de la fin de l’affrontement armé, les raisons de lutte ne peuvent être reléguées aux livres d’histoire. La question de la partition ne peut être oubliée dans les raisons de la division des travailleurs protestants et catholiques. Dans une période proche, il peut être possible de construire l’unité des travailleurs sur des questions économiques de chaque jour mais, sans aborder la question de la partition, cette unité demeure fragile. Il y a déjà eu beaucoup de mouvements communs mais la plupart ont été détruits par des réactions sectaires. Pourtant nous avons besoin d’un mouvement révolutionnaire avec une réelle politique anti-impérialiste qui réunisse des travailleurs issus des communautés catholique et protestante.


La tâche est énorme pour notre mouvement. Le sectarisme est tout autant enraciné qu’il y a cinq ans lors du début du processus de paix. Pendant les polémiques pour la formation de l’exécutif durant près de deux ans, la tâche a été rendue encore plus difficile. Maintenant que l’on voit le Sinn Fein, le SDLP, le UUP et le DUP gouverner ensemble (et bien évidemment pour les fermetures d’hôpitaux, les réductions de budget dans l’éducation et pour toutes les inégalités produites par le capitalisme au profit des classes dirigeantes), il devient un peu plus facile d’impulser la construction d’un mouvement social révolutionnaire.

Chekov (WSM - Workers Solidarity Movement) - Dublin.

(1) L’ordre d’Orange (en référence à Guillaume d’Orange, roi d’Angleterre) est un groupe de pression profondément attaché au maintien de l’Ulster (nom de la province réunissant les six comtés d’Irlande du Nord) à la couronne britannique. Ndlr.
(2) Enclave catholique au sein d’un quartier protestant.
(3) Les unionistes sont ceux qui défendent l’union de l’Ulster à l’Angleterre. Ce sont des protestants partisans de la couronne. ndlr.
(4) Le nombre des naissances est nettement supérieur chez les catholiques que chez les protestants. Si l’évolution reste identique, d’ici 20 à 40 ans les catholiques pourraient être majoritaires en Irlande du nord.
(5) Les plus radicaux des Unionistes. Ceux qui restent « loyaux » à la couronne. Ndlr.
(6) Groupe paramilitaire loyaliste refusant les accords de paix.
(7) Idem.