L’hypocrisie sanglante continue en Tchétchénie


Le carnage continue dans le Caucase. L’armée russe dévaste la Tchétchénie et est sur le point de détruire ce qui reste de la capitale Grozny et de ses habitants. Les généraux russes jubilent. Après une incroyable série de défaite et d’humiliations, depuis l’Afghanistan et en passant par la première guerre de Tchétchénie, les militaires russes pensent tenir une victoire. Ni eux, ni les politiques qui les soutiennent n’envisagent de lâcher leur proie, quel que soit le prix que doivent payer les populations caucasiennes. Cet orgueil retrouvé de mâle va jusqu’à faire perdre les pédales au président Eltsine qui n’a rien trouvé de mieux que de menacer les États-Unis de l’arme nucléaire, en réponse aux toutes petites critiques (pour la forme) de Clinton.

Bien sur, ses seconds, et au premier rang d’entre eux le Premier ministre Poutine, manient un peu mieux l’hypocrisie et la langue de bois. « La Russie comprend et partage l’inquiétude justifiée de la communauté mondiale et de l’Union européenne au sujet de la situation humanitaire au Caucase du nord », déclare ce dernier. Le gouvernement russe tente de rassurer les occidentaux, pour être bien certain de continuer à détourner l’argent du FMI au profit des clans au pouvoir, mais affirme parallèlement qu’il ne changera pas de tactique. Il n’y aura pas d’assaut sur Grozny… si les rebelles de rendent. Pour achever le tableau de l’hypocrisie sanglante, les Russes agrémentent leurs propos martiaux de gesticulations humanitaires : le ministre russe des situations d’urgence est dépêché sur place, soit disant pour assurer l’évacuation des civils. Pendant ce temps les témoignages de femmes restées sur place montrent que l’armée russe mitraille allégrement les colonnes de réfugiés au prétexte qu’elles abritent des maquisards. La crise Tchétchène risque d’autant moins de se régler rapidement qu’elle est au croisement d’intérêts immédiats (politique intérieur pour les Russes, fondamentalisme religieux côté tchétchène) et de tendances lourdes de l’histoire.


En effet, depuis l’époque de Pierre le Grand, la Russie s’avance vers le Caucase pour contrôler le littoral caspien, essentiel dans les rapports russo-iranniens et riche de son pétrole, ainsi que le littoral de la mer Noire, indispensable dans les rapports avec l’Empire ottoman et la Turquie d’aujourd’hui. Cela pose bien évidemment un problème de voisinage avec les tribus des Montagnards plus ou moins indociles et belliqueuses. Or, les Tchétchènes ont par excellence ces deux qualités. La dislocation de l’URSS a compliqué la tache de Moscou dans le Caucase et obligé les dirigeants du Kremlin à une attitude défensive. Dix ans plus tard, ils reprennent le cycle séculaire de l’extension vers le Sud de l’Empire russe. Après plusieurs mois de guerre, même le vocabulaire a changé. Il ne s’agit plus de punir les « bandits » tchétchènes mais bien de chasser « les arabes » d’une terre revendiquée par la sainte Russie. Quelle différence alors entre la Russie, la Serbie ou l’Irak ? Mêmes dictateurs, même politique de terreur et de conquête. Ce qui change c’est l’attitude des occidentaux et du « parrain » américain, preuve s’il en était besoin que seuls les rapports de force et les intérêts financiers guident les gesticulations médiatiques des donneurs de leçon qui dirigent la planète. Il serait peut-être temps de penser à descendre dans la rue pour les prendre à parti.

Frank Gombaud (Rennes)