Deux femmes, deux mondes, deux «
suicides » programmés. Quel lien y a-t-il entre un film de
Hong-kong et un film suisse ? Peut-être une parenté géographique
? car Hong-kong est aussi artificiel que la Suisse : deux enclaves au milieu
de… autre chose. Mon premier conte le terrible mélodrame de la star
des films muets de l’empire du milieu, l’histoire de Ruan Lingyu et de
sa compagnie, la Linanhua, courageuse compagnie, engagée à
gauche, parlant de la vie du peuple dans le Shanghai des années
30. Star adulée, on la poussa au suicide au bout de 10 ans de carrière.
Sa vie et ses rôles sont ressuscités par des extraits des
archives d’époque et de ses films.
On voit une toute petite femme d’une beauté
à couper le souffle transformer une situation tournée en
studio en expérience vécue dont l’authenticité vous
fera trembler d’émotion. Pour donner vie au personnage, l’actuelle
star de Hong-kong, Maggie Cheung (au moins 70 films à son actif,
alors qu’elle a seulement la trentaine) incarne donc l’ancienne star et
son destin. Les deux ont des similitudes. Promues stars très jeunes,
elles ont eu des carrières fulgurantes. Ruan Lingyu a été
acculée au suicide.
Maggie Cheung s’est trouvée des
échappatoires. D’abord le travail avec des auteurs comme Wong Kar
Wai et Olivier Assayas qui fait d’elle « Irma Vep » que Jean-Pierre
Leaud ne saura dompter. Le film de Stanley Kwan est bouleversant, vous
verrez Tony Leung (« L’Amant » d’après Duras) pleurer
comme jamais vous avez vu un homme pleurer à l’écran. Center
stage est de 1992 et a obtenu un ours d’argent au Festival de Berlin. Il
vaut le détour.
Mon deuxième conte l’histoire extraordinaire,
mais si vraie, de la belle Irina. La jeune femme de Berezina est russe.
Elle est arrivée en Suisse pour égayer les notables et les
zombis au pouvoir en se prêtant avec charme et désinvolture
à leurs caprices de vieux schnocks. Sa candeur la sauve et charme
et ces Suisses aux obsessions très particulières et nous
autres spectateurs. Irina, Elena Panova, est stupéfiante. Pour ne
pas être expulsée, elle déclenche, sans le savoir,
un coup d’État dans lequel tous les personnages antipathiques périssent.
C’est un film très réussi,
si l’on accepte le parti pris de Daniel Schmid (qu’on connaît, il
est vrai par des œuvres franchement plus sublimes, citons pour exemple
son Visage écrit sur le Japon et ses acteurs de Kabuki). Tout est
racontée avec une grosse artillerie : la fable grotesque fait passer
à la mitrailleuse du mauvais goût toutes les tares d’un petit
pays ou règne seulement l’argent et le secret bancaire. Pour avoir
vu le film en Suisse, au festival de Locarno, je peux témoigner,
les 7 000 spectateurs à majorité Suisses se sont follement
amusés !
Cette farce travaille « le complot
» comme identité politique, la conjuration comme moyen pour
déjouer les complots réels et imaginaires. Le film est réellement
fait par quelqu’un qui n’aime pas cette Suisse-là, mais qui a la
liberté d’esprit et l’humour nécessaire pour la mettre en
pièces, à sa façon.
Qu’il égratigne au passage les
« russian connections » et autres mafias qui profitent des
marchés juteux pour s’installer et sacrifier au passage pas mal
de vies humaines, tant mieux. Que notre belle Irina ne soit ni descendue,
ni « suicidée », elle le doit uniquement à la
bienveillance de l’auteur et scénariste de Bérezina, Martin
Suter, au travail remarquable de Renato Berta à l’image et au travail
ludique et émerveillé (face à son actrice) de Daniel
Schmid.