EXPO
Nelly, ses fruits et ses légumes
Nelly Trumel, notre compagne anarcha-féministe
présente ses derniers fruits et légumes du siècle
au 29 passage Verdeau à Paris (9e), du 3 au 31 décembre 1999.
Disons-le d’emblée : ça germe ! D’abord, on est époustouflé-e
par la prouesse technique : les pommes, les oignons, les cerises et les
raisins sont là, à portée des yeux, et, comme en conséquence,
à portée des mains, enfin… à portée des dents
: mieux que réalistes, vrais. Si vrais que l’on pense à la
légende du peintre antique Zeunis qui savait représenter
des fruits tellement réels que les oiseaux venaient les grignoter…
Et puis, il y a des patates ; à
première vue, c’est la même chose : extrême précision
technique, rendu virtuose de la peau, de la texture, des couleurs. Performance.
En regardant de très près « pom-patate », le
plus surréaliste des tableaux de l’expo, j’ai pensé, à
cause de la finesse de la peau, et la chair derrière la peau, au
travail magnifique de Courbet dans « L’origine du monde ».
Car, à y regarder de plus près, les patates, finalement,
ça se complique. Parce que, vous l’avez remarqué, tout cela,
ça se mange, ça se goûte et ça se touche. C’est
aussi une question physique, quelque chose qui s’adresse au corps, aux
sens, à la chair, justement. Et puis, on continue à regarder,
car la peinture, ça se regarde avant tout. Alors, on finit par s’apercevoir
que ces patates-là n’ont pas n’importe quelle forme et qu’elles
ne sont pas disposées au hasard ; parfois, elles se penchent l’une
vers l’autre, hérissées de petits germes fiérots comme
des spermatozoïdes, semblant chuchoter entre elles dans une grande
complicité, ainsi que le font les « bonnes femmes »,
et il arrive que ces chuchotements-là fassent beaucoup de bruits…
Sur d’autres tableaux, elles s’imposent
à deux ou trois, rondes, énormes, envahissant toute la surface
de l’œuvre, et l’on ne peut rien voir d’autre que ces étranges tubercules
qui, tout à coup, prennent une dimension inquiétante. C’est
particulièrement évident quand Nelly décide de nous
les présenter en grand format. Derrière ces patates-là,
il y a l’écran du quotidien, du quotidien féminin aliénant
qui nous revient en pleine figure (« Patate dans la gueule »).
Une femme crie, hurle en silence. Révolte irrépressible venue
du fond des siècles. Vous pouvez toujours frapper ; on continuera
à hurler : toi Nelly, elle, moi, puis l’autre, cette fois bruyamment
chaque fois que ce sera nécessaire. Dans « Patates-carottes
», l’une de ses dernières œuvres, la symbolique sexuelle apparaît
avec évidence et humour.
Le travail pictural de Nelly tient dans
la sublimation de sujets en apparence banals comme est banalisé,
voir méprisé, le travail quotidien des femmes. Cette sublimation
est obtenue par une technique classique absolument maîtrisée
(même si elle use de peinture acrylique) qu’elle a acquise par une
formation autodidacte en allant, ainsi que l’ont fait tous les grands peintres,
copier au Louvre les Flamands, mais aussi l’espagnol Zurbaran et Chardin,
dont l’univers se rapproche du sien. Tout comme les maîtres anciens,
elle connaît la nécessité impérieuse, patiente
et laborieuse de la préparation du support : chez elle, c’est souvent
du bois, longuement poncé, enduit et peint. Le résultat est
à la hauteur de l’effort : des couleurs et des volumes en harmonie
parfaite au service de sujets, qui, peu à peu, transcendent leur
quotidienne apparence.
Le rôle d’un artiste peut consister
à nous montrer ce qui se cache derrière l’apparence des choses
de la vie. Dans le monde potager de Nelly, il y a la condition féminine
et sa révolte, mais il y a aussi beaucoup de tendresse pour la condition
humaine en général et un grand amour de la vie, un amour
de la vie si puissant qu’il vaut au moins une révolution.
Yolaine Guignat. — groupe Pierre-Besnard