Politique familiale et contrôle social des femmes

Depuis longtemps, les anarchistes se proclament pour la destruction de la famille, telle qu’elle existe dans nos sociétés. En effet, cette cellule de base des sociétés capitalistes est un des piliers qui assurent la transmission des normes sociales et l’apprentissage des rôles. Elle sert aussi à assurer certaines fonctions de base : Le logement, la nourriture, le transport sont financièrement assurés par les parents. Jusqu’à encore peu de temps, les personnes âgées étaient prises en charge entièrement par leurs enfants. Ainsi, tous les discours sur ces parents irresponsables à qui on coupe les allocations dés que le petit fait une connerie, n’est rien de moins qu’une politique si souvent répétée de bouc émissaire, visant à mettre aux oubliettes tous les facteurs socio-économiques, et d’éviter du même coup toute remise en cause du fonctionnement social.
 

Des stéréotypes qui tiennent bon

Dans ce contexte, il est donc très important de développer une politique familiale conséquente. C’est si pratique, la famille ! En France, on recense plus de 950000 familles adhérentes à 8500 associations familiales réparties dans 99 unions départementales qui forment l’UNAF (union nationale des associations familiales). Toutes ces associations sont pour la plupart largement à droite et sont représentées dans une multitude d’organismes influents sur de nombreux aspects de la vie sociale comme la caisse nationale d’assurance maladie, le conseil national de l’habitat, le conseil national des populations immigrées, le conseil scientifique de l’INED(1)… Ainsi soutenue, la famille nucléaire traditionnelle risque donc de durer un moment, malgré les efforts des parents gays et lesbiens pour se faire reconnaître, et malgré l’augmentation du nombre de famille monoparentale.
Il serait trop long d’aborder ici toutes les possibilités qui s’offrent à ces diverses associations, mais il est important de bien prendre en compte l’impact de cette politique familialiste qui ne veut promouvoir que des liens de sang, sans hésiter à sombrer dans l’absurde, et qui joue ainsi avec la santé tant physique que mentale de milliers d’individus. L’objectif est de conserver les liens entre l’enfant et ses géniteurs quoi qu’il arrive.

Les adultes comme les enfants sont victimes de ce système qui assure la reproduction de rôles sociaux sexués : la femme, c’est la mère, douce, maternelle, prête à tout pour ses enfants, l’homme est le protecteur contre l’extérieur, qui doit assumer la subsistance du groupe. Ces schémas, que l’on pourrait penser un peu révolus, sont utilisés par une institution qui a toujours eu comme raison d’être la conservation du système : la justice.

Si on prend le domaine de l’enfance maltraitée, on assiste à des situations délirantes. Par exemple, pour ne pas déstabiliser le cadre familial, des enfants victimes de sévices corporels et/ou sexuels sont laissés avec leur bourreau, malgré les signalements aux autorités. En cas de séparation des parents, l’enfant doit revoir son parent agresseur, qui conserve un droit de visite. Pour comparer, c’est un peu comme si une femme violée devait passer tous ses dimanches avec son agresseur.
 

Le système judiciaire, garant de l’oppression

D’après un rapport du VIF(2), les femmes qui veulent défendre leurs enfants contre celui qui est souvent leur ancien conjoint (90 % des agresseurs sont des hommes, souvent le père) se retrouvent dans des situations inextricables. La parole de l’enfant n’est jamais prise en compte, et celle de la mère toujours mise en doute : 2 % d’agresseurs condamnés, 51 % de dossiers classés sans suite… Les preuves amenées par la mère sont toujours sujettes à caution, avec l’idée qu’elle veut conserver ses enfants rien que pour elle, et en veut à son ancien conjoint : Ah, la femelle jalouse et possessive ! L’homme peut sortir des rapports de psychiatres ayant rencontré la mère une fois ou dix minutes parfois, qui seront versés au dossier. Ceux-là valent leur pesant de merde. Citons : « Mes observations concernant la mère d’O. tiennent en quelques mots : névrose hystérique ». « Il s’agit d’un fantasme de séduction sexuelle toujours caractéristiques d’une structure féminine hystérique. »

Mais le plus beau, la meilleure défense étant l’attaque, beaucoup d’hommes se retournent contre leur ancienne compagne pour dénonciation calomnieuse, quand elle n’est pas mise en examen pour non-présentation de l’enfant. Cela se comprend quand on sait que souvent les enfants subissent de nouveaux sévices lors de leur rencontre avec leur père. Dans le cas de poursuites engagées par le père (20 % des cas), 1/3 des femmes sont condamnées, voir incarcérées, ce qui entraîne la garde de l’enfant par le parent agresseur.

Il arrive aussi que la mère ne se sépare pas de son conjoint violent. Elle refuse donc, d’après les juges, de répondre à son rôle primordial de mère, pour privilégier le rôle de compagne. Elle sera condamnée ! Peu importe qu’elle ait vécu terrorisée par un homme violent, qu’elle se soit retrouvée seule devant une situation qui la dépasse ! Pour la justice, elle a tort ! Ne parlons pas dans ces conditions de mères agresseuses ! Pas de circonstances atténuantes pour ses femmes qui n’ont pas pu, pas su assumer ce qu’on attendait d’elles.

Pour illustrer ce propos, revenons sur deux exemples, dont l’un a défrayé la chronique. Tout d’abord, le cas u petit Johnny. Sa mère, pendant son enfance, était violée à de multiples reprises par son oncle, qu’elle prenait pour son père, devant ses demi-frères et sœurs. Battue à coup de casseroles, maltraitée, la justice interviendra à plusieurs reprises, car l’homme récidivera. Lors de son jugement, pour avoir reproduit sur son fils une partie des sévices qu’elle avait subis, aucune circonstance atténuante ne fut retenue. Elle a été condamnée à 15 ans de prison, plus que ce que demandait l’avocat général. Son compagnon a eu deux ans, pour être resté passif devant les évènements. Jolie manière d’aider les gens !


Autre lieu, autres personnes. Une femme a assisté, terrorisée, au meurtre précédé de torture de son fils de 20 mois par son compagnon, en état de manque. L’homme était armé d’un couteau, ses deux autres filles étaient présentes, aussi a-t-elle eu trop peur de les laisser pour aller chercher de l’aide. Il sera condamné à 30 ans, moins que ce qui était demandé, car il a eu des circonstances atténuantes. Quant à elle, elle écopera de 5 ans, pour non-assistance à personne en danger. Il lui sera reproché son hygiène, la tenue de sa maison, le fait qu’elle laisse ses enfants à la halte-garderie, et même la sincérité de son attachement à ses enfants. Rien de cela n’a été reproché à son ancien compagnon, qui vivait pourtant sous le même toit.
 

La maternité : le libre choix interdit

Ne nous trompons pas, il n’est pas plus excusable pour un homme ou pour une femme de battre ses enfants, et quel que soit le parent agresseur, celui-ci a plus besoin d’aide que de prison. Mais pourquoi, dans le cadre des violences familiales, l’institution judiciaire enfonce-t-elle systématiquement les femmes, quand elle tend la perche aux hommes, sinon pour leur rappeler qu’elles sont des mères avant tout, à partir du jour où elles ont décidé de garder leur enfant. Dans notre société, la femme, en tant qu’individue, disparaît le jour où elle choisit la maternité. Pourtant, il y a une grande différence entre désir de maternité et désir d’enfants, mais on l’oublie souvent.


La proposition de loi concernant l’accouchement sous X va d’ailleurs tout à fait dans le sens de la conservation de la reproduction comme accomplissement du devoir primordial de la femme. En refusant le droit à l’anonymat en obligeant la femme à inscrire son nom dans son dossier, l’Etat oblige la femme à assumer sa maternité toute sa vie. À n’importe quel moment peut ressurgir un enfant qu’elle n’a pas choisi de garder, souvent parce qu’elle n’en avait pas les moyens, financiers ou psychologiques. Où est le choix, là dedans ? Et pourquoi ne demande-t-on pas ses coordonnées au généreux donateur de spermatozoïdes ?


L’enfant aura beau être adopté, il faut qu’il puisse retrouver sa mère biologique, qui est sa vraie mère, plus que celle qui aura choisi de l’élever. La femme doit donc payer toute sa vie le prix d’un choix sans doute plus que difficile. La famille, c’est les liens du sang devant les liens de l’amour, c’est des rôles figés, rigides, car chacun doit être étiqueté et bien rangé pour que la société fonctionne. Pourquoi refuse-t-on aux homosexuels le droit d’avoir des enfants ? Cela remet bien trop de choses en cause dans un cadre, qui pourtant commence à se fissurer un peu partout. Mais n’attendons pas trop d’un régime de domination. Nous aurons au mieux des autorisations, le libre choix des individus se plie mal aux besoins du capitalisme.


Car changer la famille, c’est changer beaucoup de choses. C’est aussi bien multiplier les crèches et les haltes garderies, qu’arrêter les discours culpabilisant pour les femmes qui y laissent leurs enfants. C’est aussi reconnaître l’existence des individus en dehors de leur charge parentale. Ce n’est pas parce qu’on met un enfant au monde qu’il nous appartient, ce n’est pas parce qu’on est une mère que l’on doit passer le plus de temps possible au foyer, ce n’est pas parce qu’un enfant fait de conneries, qu’il faut jeter des pierres aux parents. Notre éducation, nous la faisons dans la famille, mais aussi à l’école, dans la rue… dans la société.
Aussi la famille n’évoluera-t-elle pas seule. Vouloir réformer la famille, sans toucher à la société qu’elle maintient, c’est faire un pas en avant, pour quatre en arrière. Le fameux Travail, Famille, Patrie, nous est trop souvent resservie sous une forme ou une autre, actuellement ce serait : Flexibilité, Famille, Citoyenneté, pour qu’on n’y mette pas définitivement fin. Si nous voulons changer la famille, il faut la voir dans sa globalité, en tant qu’un des rouages qui fait marcher le système et appréhender la société dans son ensemble. C’est à cette seule condition que la liberté de chacun pourra s’épanouir dans un cadre collectif.

Gaëlle. — groupe Durruti (Lyon)


(1) Institut National d’Etudes Démographiques
(2) Viol Information Femme. Rapport paru en juin 1999 avec le collectif féministe contre le viol et la délégation régionale aux droits de femmes d’Ile-de-France : Agressions sexuelles dans un contexte de séparation des parents ; Dénis de justice ?