Le film commence sur fond de lutte
de classe avec le mouvement des chômeurs. « Qui sème
la misère récolte la colère » crient avec d’autres
Otto et Louna. Lui, vendeur du « Réverbère »
dans le RER, vit avec sa mère et prend conscience de sa vie stupide
et solitaire. Elle, venant de l’Est, est shampooineuse des temps modernes
et découvre le rôle de la police et de la justice dans l’action
de l’huissier qui vient faire une saisie chez sa vieille logeuse (si âgée
qu’elle a connue Louise Michel). Il y a aussi Ali, au père déprimé
qui au nom de l’intégration veut faire manger du porc à son
fils.
Tous trois, après avoir exprimé
leur colère et leur soif de justice, prennent la route à
bord de voitures volées. Le film prend alors une dimension surréaliste.
Nos voyageurs secourent une cigogne blessée ; l’oiseau migrateur
vient d’Algérie et est sans-papiers. Dans cette fable, cinématographique,
ode à la liberté, Ali, le lettré de la bande dévore
des livres sur les banquettes arrière des voitures qu’ils empruntent
au fil de leurs pannes d’essence. Il lit tout de Marx à Guy Debord.
Avec le voyage, il reconscientise la vie qu’ont subie et subissent les
siens pendant les guerres (seconde guerre mondiale, guerre d’Algérie
évoquée à travers la voix de Maurice Joyeux sur Radio
libertaire, guerre civile actuelle).
Ce film contre les frontières et contre
les guerres est un film politique et une des dernières images est
dédiée à un sans-papier qui a passé la frontière
franco-espagnole dans un camion. Le film truffé de clins d’œil à
Godard, à Chaplin, à Prévert, nous questionne sur
l’information et le spectacle. Tony Gatlif place sa caméra comme
transition entre les auteurs et le public. Les acteurs préservent
leur intimité en invitant la caméra, en nous invitant, à
les laisser vivre leurs proximités sans voyeurisme, sans entrer
dans le spectaculaire. Dans le même temps le réalisateur,
dans le jeu qu’il nous fait vivre avec les acteurs, n’hésite pas
à retirer un personnage de l’écran pour « insanité
». Il nous invite là à réfléchir sur
la toute puissance à laquelle peut arriver l’image, l’information
dans une société de spectacle. Un film intelligent, plein
d’humour et de poésie, où le langage « citoyen »
nous fait hurler de rire !