CINÉMA

Je suis né d’une cigogne

Tony Gatlif


Le film commence sur fond de lutte de classe avec le mouvement des chômeurs. « Qui sème la misère récolte la colère » crient avec d’autres Otto et Louna. Lui, vendeur du « Réverbère » dans le RER, vit avec sa mère et prend conscience de sa vie stupide et solitaire. Elle, venant de l’Est, est shampooineuse des temps modernes et découvre le rôle de la police et de la justice dans l’action de l’huissier qui vient faire une saisie chez sa vieille logeuse (si âgée qu’elle a connue Louise Michel). Il y a aussi Ali, au père déprimé qui au nom de l’intégration veut faire manger du porc à son fils.
Tous trois, après avoir exprimé leur colère et leur soif de justice, prennent la route à bord de voitures volées. Le film prend alors une dimension surréaliste. Nos voyageurs secourent une cigogne blessée ; l’oiseau migrateur vient d’Algérie et est sans-papiers. Dans cette fable, cinématographique, ode à la liberté, Ali, le lettré de la bande dévore des livres sur les banquettes arrière des voitures qu’ils empruntent au fil de leurs pannes d’essence. Il lit tout de Marx à Guy Debord. Avec le voyage, il reconscientise la vie qu’ont subie et subissent les siens pendant les guerres (seconde guerre mondiale, guerre d’Algérie évoquée à travers la voix de Maurice Joyeux sur Radio libertaire, guerre civile actuelle).

Ce film contre les frontières et contre les guerres est un film politique et une des dernières images est dédiée à un sans-papier qui a passé la frontière franco-espagnole dans un camion. Le film truffé de clins d’œil à Godard, à Chaplin, à Prévert, nous questionne sur l’information et le spectacle. Tony Gatlif place sa caméra comme transition entre les auteurs et le public. Les acteurs préservent leur intimité en invitant la caméra, en nous invitant, à les laisser vivre leurs proximités sans voyeurisme, sans entrer dans le spectaculaire. Dans le même temps le réalisateur, dans le jeu qu’il nous fait vivre avec les acteurs, n’hésite pas à retirer un personnage de l’écran pour « insanité ». Il nous invite là à réfléchir sur la toute puissance à laquelle peut arriver l’image, l’information dans une société de spectacle. Un film intelligent, plein d’humour et de poésie, où le langage « citoyen » nous fait hurler de rire !

Aldo Movar