LECTURE

L’imaginaire des libertaires aujourd’hui

Mimmo Puciarelli


Voilà plusieurs années que Domenico Pucciarelli, dit Mimmo (militant libertaire lyonnais de longue date et un des animateurs de l’Atelier de création libertaire), observe, étudie, interroge et tente de se positionner en tant que « poils à gratter » du mouvement libertaire à travers la quête de ce qu’il nomme « un anarchisme contemporain ».

Mimmo nous propose aujourd’hui une version écourtée, épurée et remaniée de sa thèse de sociologie. À travers une trentaine d’enquêtes orales auprès de militant-e-s, pour la très grande majorité lyonnais, libertaires de tous horizons (même si quelques uns s’apparentent plus à des illuminé-e-s mystiques relevant plus de la secte que du mouvement libertaire), Mimmo tente de cerner l’imaginaire porté aujourd’hui par les anarchistes en cette fin de siècle et pour ce début de XXIe siècle. Un livre se voulant donc vivant, à l’image de ses acteurs, malgré les semelles de plomb que lui imposent les contraintes académiques et de la recherche universitaire.

Mais, si nous avions été enthousiasmés par son précédent ouvrage Le Rêve au quotidien, de la ruche ouvrière à la ruche alternative, (ACL, 1996), retraçant en brio les expériences collectives et alternatives de la Croix-Rousse entre 1975 et 1995 (voir le Monde libertaire n°1047), nous sommes beaucoup plus sceptiques sur les finalités et les objectifs de cette nouvelle livraison et encore plus sur les conclusions avancées par Mimmo.

La première critique vient du fait que les contraintes et pesanteurs de la démarche universitaire ainsi que le choix d’un sujet fortement autocentré rend ce livre peu accessible à un large public. Seuls les sociologues et les libertaires « labellisés » semblent pouvoir y trouver leur compte. Néanmoins, un livre d’un libertaire, parmi les libertaires, pour les libertaires et se donnant comme but de s’interroger sur les perspectives à offrir au mouvement pour le XXIe siècle, relève d’une démarche qui reste des plus honorables voire salutaires. Malheureusement, le résultat ne nous semble pas répondre à ces objectifs et on reste largement sur sa faim une fois le livre refermé. Voyons pourquoi, tout en ne perdant pas de vue que ce travail fait néanmoins avancer le débat sur plusieurs questions.

Tout d’abord, il semble que Mimmo est tout au long de ce livre assis entre deux chaises. Il n’est en effet pas facile de concilier les enquêtes du sociologue Pucciarelli et les conclusions du militant Mimmo qui apparaissent à plusieurs reprises comme plaquées, en décalage avec ce que la démonstration semblait esquisser. Bien souvent les opinions de Mimmo nous semblent superposées, en filigrane, à la construction progressive de la recherche et de la démonstration. Il en est ainsi, par exemple, de la thèse centrale du livre avec laquelle nous sommes en désaccord.
 

L’anarchisme social dépassé ?

Après avoir retracé l’histoire du mouvement libertaire lyonnais, des années cinquante à la fin des années 80, en montrant durant la première période le poids de l’isolement et du repli qui dominaient au sein du mouvement puis la réémergence après le « souffle libertaire » de 68 qui laisse des traces jusqu’au début des années 80, Mimmo, enquêtes et interviews à l’appui, présente les acteurs, motivations et ressorts des libertaires d’aujourd’hui. La démonstration met en avant, sur le fond, le retour de la question sociale comme thématique centrale de l’implication des libertaires aujourd’hui et, sur la forme, la place centrale et majeure, au niveau militant comme de l’influence, prise dans le mouvement libertaire par les organisations à caractère d’anarchisme social que sont la CNT et la FA. Pourtant, Mimmo, qui semble non satisfait de ces résultats, en tire un bilan à contre pieds. Il estime (et c’est la thématique centrale du livre) que cet anarchisme représente l’anarchisme à la mode XIXe siècle qui est mort en 1939 avec la fin de la Révolution espagnole. Il oppose alors la recherche d’un soi-disant « anarchisme contemporain » qui consisterait à réactiver « l’imaginaire » issu, et trop vite abandonné, de mai 1968. Pourtant l’évolution du monde qui nous entoure (arrogance toujours plus forte du capitalisme, redéploiement des luttes de classes et des mouvements sociaux) comme la relative cohérence et les perspectives offertes, dans ses entretiens, par les militants des « deux organisations dominantes de cette fin de siècle » tendent au contraire à montrer que ce « vieil anarchisme » décrié par Mimmo est bien toujours d’actualité et en capacité d’offrir les réponses les plus pertinentes pour un nouveau déploiement du mouvement libertaire au XXIe siècle.
 

Enfin, au-delà de ces désaccords, ce livre trouve son intérêt dans la diversité des acteurs qu’il présente et la richesse, importante en enseignement et mémoire collective, des parcours individuels. Le moment le plus fort se situe certainement dans les chapitres qui terminent le livre et qui donnent vie à une fameuse agora libertaire fictive. Ayant posé les mêmes questions à la trentaine de militant-e-s qu’il a interviewé, Mimmo, fort de réponses individuelles autour des mêmes thématiques, a imaginé et mis en scène une réunion-débat entre ses trente acteurs de toute la galaxie libertaire, une après-midi pluvieuse d’après manif du 1er mai 2001. Et cela, tellement vrai qu’on s’y croirait, ça vaut vraiment le détour !

David. — groupe Durruti (Lyon)

Mimmo D. Pucciarelli, L’imaginaire des libertaires aujourd’hui, ed. ACL, 1999, 365 pages, 110 F à commander (+10 % de port) à la librairie du Monde libertaire (145, rue Amelot, 75011 Paris).
Mimmo sera le samedi 8 janvier à 16 h 30 à la librairie du Monde libertaire pour présenter son livre.