>
article_1.html
Pas un siècle de plus pour le capitalisme
En quelques décennies, la recherche
du profit maximum a modifié les caractéristiques du capitalisme.
Les phénomènes de concentration se sont amplifiés.
La production s’est internationalisée. Le travail divisé
à l’échelle planétaire entre les pays riches et les
pays pauvres ou « en voie de développement » s’est accentué.
Mais, surtout, les secteurs visés par la logique marchande se sont
considérablement diversifiés. Autrefois, seules l’agriculture,
l’industrie, la production de biens et de services intéressaient
les investisseurs. Aujourd’hui, toute activité pouvant dégager
« une forte valeur ajoutée » est la cible des spéculateurs.
Corps et biens, tout s’achète et tout se vend. Le monde est devenu
une marchandise. Pas un domaine de l’activité humaine qui ne soit
la proie des marchands. La dynamique de récupération du capitalisme
est telle que toute nouveauté est objet de spéculation.
Nouvelle dynamique du capitalisme
Cette évolution a entraîné
également une prolifération des organisations de production.
Le modèle de l’industriel qui réalise un produit de A à
Z a été remis en cause. L’appel à de nombreux intermédiaires
et sous-traitants, l’exacerbation de la concurrence sont devenus systématiques.
L’exemple de l’entreprise Nike est déjà un classique. Le
géant américain du sport ne possède aucun des 500
sites de production qui fabriquent ses chaussures. 500 000 personnes dans
le monde produisent des vêtements Nike sans être salariés
de l’entreprise. Via les réseaux Internet, le développement
des techniques de communication, le groupe s’est concentré sur deux
activités : la conception des produits et la vente aux clients.

Nike peut donc payer Michael Jordan 20 millions
de dollars par an, c’est-à-dire plus que le salaire des 30 000 ouvriers
indonésiens qui font ses chaussures. Phil Knight, le pdg de Nike,
peut même avouer que ces ouvriers sont des enfants, cela ne l’empêche
pas de dormir. Autre exemple d’actualité : le naufrage de l’Erika.
C’est Totalfina qui a affrété le pétrolier, «
c’est l’armateur qui possède le navire et qui en assure la gestion
nautique », ce n’est donc pas Totalfina qui est responsable de la
marée noire, dixit son pdg Thierry Desmarest. Devenu un marché
mondial, le transport maritime fait intervenir plusieurs armateurs, en
général des financiers. Ces armateurs, qui ne sont pas forcément
les propriétaires des navires, font appel à des sociétés
d’exploitation de bateaux, qui recourent parfois elles-mêmes à
d’autres entreprises de gestion d’équipages… Qui est responsable
? Contre qui se retourner ? « Un milliard d’individus continue de
s’enfoncer progressivement dans la misère. Les 20 % les plus pauvres
disposent de 0,5 % du revenu mondial et les 20 % les plus riches de 79
%… » (1).
La social-démocratie : un projet libéral
Pour nous faire avaler cette réalité
comme incontournable, les commis du système ont multiplié
les initiatives : réunions du G7 (groupe des sept pays les plus
riches du monde), sommets de l’Organisation mondiale du commerce, séminaires
internationaux… À ces rendez-vous, chefs d’État et de gouvernements
nous rappellent à l’ordre : de tous les systèmes de production
« la supériorité du marché est incontestable
» (2). Qu’ils se revendiquent « socialistes » ou «
libéraux », leur préoccupation est la même :
produire du discours et des pratiques pour briser toute résistance
à la logique capitaliste. Pour cette besogne, les socialistes ne
sont pas les moins efficaces. Ils sont mêmes les plus imaginatifs,
empruntant aux uns et aux autres les idées nécessaires pour
que le système se perpétue, voire s’adapte et se renforce.
Une nouvelle idéologie est en construction. Elle reprend les vieux
habits du réformisme social pour coopérer au mieux avec la
logique économique et politique. Ainsi, Jospin, lors du séminaire
intitulé « Le progressisme au XXIe siècle »,
présent à Florence le 21 novembre dernier en présence
de Clinton, Blair, Schröder et quelques autres a pu déclarer
: « la social-démocratie ne doit pas s’attacher exclusivement
à la redistribution, mais doit se préoccuper des conditions
de la production […]. Il faut rechercher une nouvelle alliance entre l’État
et le marché ». Un exemple puisé dans l’actualité
récente nous éclaire sur cette « social-démocratie
». La seconde loi de réduction du temps de travail, adoptée
par le parlement français le 15 décembre dernier n’oblige
plus les employeurs à embaucher alors qu’elle fut élaborée
pour lutter contre le chômage… L’annualisation du temps de travail
est officialisée. La formation « pour le développement
des compétences » pourra être organisée hors
le temps de travail. Et si un ou plusieurs salariés refusent les
modalités de son passage à 35 heures, « leur licenciement
est un licenciement individuel ne reposant pas sur un motif économique
» !
Autre argument avancé par Jospin au
dit séminaire à propos de l’égalité des chances
: « Nous cherchons l’égalité dans la différence
». Exemple : la mise en place au 1er janvier 2000 de la Couverture
maladie universelle (CMU) concernera « 6 millions de personnes défavorisées
» ; les résidents en situation irrégulières,
les sans-papiers, ne pourront pas en bénéficier. C’est cela
l’égalité ? C’est cela la différence ? C’est cela
la chance ? La sécurité est devenue une priorité du
gouvernement Jospin. Au lieu d’assurer la sécurité sociale,
salariale, médicale ou éducative de ses concitoyens, il nous
promet des flics à chaque coin de rue. S’agirait-il de contenir
la misère qu’il va lui-même engendrer ?
Résister quotidiennement
C’est pourquoi, face à tous ces serviteurs
volontaires d’une logique économique qui broie des millions de personnes
de par le monde, il faut tenter toutes les ruptures. La résistance
doit se mener sur deux fronts : celui de la pensée et celui de l’action.
Cette entrée en résistance doit se mener au quotidien avec
les sans-papiers contre l’Etat-nation et ses frontières ; avec les
chômeurs contre le système capitaliste et son travail forcé
; avec ses collègues contre les patrons… Elle va devoir surtout
construire des solidarités internationales. Les manifestations contre
l’OMC à Seattle auront été, à cet égard,
un beau cadeau de fin de siècle. Un bel exemple d’une pensée
en action… De quoi faire détester l’an 2000 aux patrons !
Alain Dervin. — groupe Pierre-Besnard
(1) Frank Gombaud, « Les effets négatifs
de la mondialisation face aux luttes sociales », Le Monde libertaire,
hors série n°13.
(2) Le Monde du 26 novembre 1999.
Autres références : Michael Moore dans Le Monde ; Charles
Reeve dans « Les Temps modernes » n° 603.