Arnaque sur la formation professionnelle

Quand stage rime avec esclavage


Entrepreneurs, si d’aventure vous l’ignoriez encore, sachez qu’il existe un moyen facile, quasiment légal et en tout cas sans risque, d’utiliser de la main d’oeuvre très qualifiée à 25 % du SMIC, sans charges sociales ni assurance accident du travail à payer. Avec un peu de bonne volonté, la combine peut durer des mois, voire (ça arrive) des années : il suffit d’appeler votre emploi « stage dans le cadre d’une formation universitaire ».


Collaboration presque assurée de la part de l’Ecole ou de l’Université. D’ailleurs tout le monde connaît la combine, votre DRH, ou en tout cas votre comptable vous en a certainement déjà parlé. En plus, l’offre est abondante et de qualité, pourquoi se gêner ?
 

Une main-d’œuvre qualifiée et quasi gratuite

L’irruption massive des stages pendant la formation est peut-être l’évolution la plus remarquable du système d’enseignement français depuis une quinzaine d’années. Et il faut bien dire que le patronat n’a eu en l’occurrence qu’à tirer les marrons du feu préparé par l’Université et ses élites éclairées… Revenons quelques années en arrière. Quand le chômage de masse a touché les diplômé-e-s de l’Enseignement supérieur, la question, pas ridicule, de la formation professionnelle a commencé à préoccuper sérieusement les universitaires. Et l’idée selon laquelle l’Université ne pouvait pas rester coupée du monde réel, ni se désintéresser totalement du devenir de ses étudiants et étudiantes a commencé à faire son chemin. On vit alors fleurir les diplômes à vocation professionnelle, magistères, DESS, etc. Et, le but étant de favoriser l’insertion dans un milieu professionnel, on a commencé à inclure des stages en entreprise dans ces formations. Si cette pratique est traditionnelle dans les Ecoles d’Ingénieurs et dans les IUT, c’était une relative nouveauté dans l’Université proprement dite.

En soit, elle n’a rien de particulièrement scandaleux, et peut même permettre de rompre avec l’académisme. Le tout est de ne pas mélanger les genres : un stage doit rester une formation, sinon c’est un emploi déguisé.
Pour distinguer l’un de l’autre, quelques critères sont faciles à définir :
- sujet de stage précis proposé par l’entreprise et accepté par les responsables de la formation universitaire ;
- encadrement individuel aussi bien côté université que côté entreprise ;
- rapport de stage évalué en dernier ressort par l’université ;
- caractère non immédiatement profitable pour l’entreprise (qui est intéressée à bénéficier à terme de main-d’œuvre rapidement opérationnelle).
Mais ça, c’est la théorie. La pratique, elle, intègre un autre paramètre qui est le contexte social. Et on sait que ce contexte n’est guère favorable aux apprentis travailleurs par les temps qui courent, ni même aux apprentis cadres…

Très prosaïquement, l’alternative bidon, mais insidieuse, « stage ou chômage » a envahi l’inconscient estudiantin et fait des ravages chez les enseignants. D’où une tendance à accepter n’importe quoi sous couvert de stage, que la formation soit d’ailleurs censée en comporter un ou non. Dans ce dernier cas, la notion de « stage conseillé dans le cadre de la formation » permet, sur la base du volontariat, à un étudiant d’effectuer un séjour en entreprise. Et ce qui peut être un habillage légal pratique pour couvrir (accident du travail, notamment) un-e étudiant-e ayant l’occasion de passer quelques jours dans un milieu professionnel histoire de mieux cibler son orientation future, peut aussi être la porte ouverte à n’importe quel abus.
 

Une arnaque  en deux temps

Les entreprises ont vite repéré le filon, et le déguisement du traditionnel job d’été en stage, voire l’inscription universitaire bidon pour maquiller en stage un CDD de plusieurs mois, sont devenus monnaie courante. Avec une arnaque en deux temps : d’abord, on explique à la future victime consentante que oui, un stage est indispensable pour mettre le pied à l’étrier chez, qui sait, son futur employeur : puis que, hélas hélas, la méchante URSSAF considère que tout stage rémunéré à plus de 25 % du SMIC n’est qu’un emploi déguisé (ce point est d’ailleurs exact), et donc voilà, votre future gratification n’excèdera pas les 1500 francs mensuels pour un travail à plein temps. En serons-nous bientôt à revendiquer de « vrais » CDD pour lutter contre cet esclavage moderne ?

Dans le cas des stages « conseillés », voire même pour certains stages obligatoires, tout ce qu’on demande à l’Université est d’apposer son tampon au bas de la page. Et c’est tellement plus facile de tamponner sans se poser de question que d’annoncer à l’étudiant-e qu’on refuse de cautionner le dumping social, ou d’expliquer à l’employeur -peut-être sollicité par ailleurs pour d’autres stages moins bidonnés, et chez qui on espère éventuellement placer quelques diplômé-e-s que c’est un margoulin sans vergogne ! Le responsable de formation qui se rebiffe se voit d’ailleurs opposer deux arguments particulièrement significatifs de l’air du temps :
1. de quoi vous mêlez-vous de bloquer par idéologie un contrat conclu librement entre employé et employeur ?
2. vous rendez-vous compte que vous prenez la responsabilité de compromettre l’avenir professionnel de M ou Melle untel dans l’entreprise où il (elle) a eu la chance de décrocher un stage ?

Mais il est rare qu’on en vienne à ces arguments désagréables !
Il faut souligner que ces pratiques esclavagistes sont monnaie courante notamment pour les postulants au beau métier de… recruteur. On peut en ricaner, mais aussi se dire que celles et ceux qui auront accepté d’en passer par là seront particulièrement blindés et imperméables au arguties sociales dans leur future tâche. Ce qui est, d’ailleurs, sans doute le résultat escompté.

François Coquet