Ratcatcher
Lynne Ramsay
Ratcatcher est le premier long
métrage de Lynne Ramsay. Remarquée pour ses courts métrages,
dont Gasman, Lynne Ramsay est originaire de Glasgow, la ville où
vit James, le garçon au centre de son film. Ratcatcher est
le titre glorieux donné à tous ceux qui arrivent à
attraper des rats. Les rats qu’on attrape ou qu’on utilise pour faire peur
sont devenus les habitants quasi légitimes des blocs d’habitation
des quartiers pauvres de Glasgow. Un drame ouvre le film. Un enfant s’est
noyé dans le canal délimitant l’espace entre la cité
délabrée et le reste de la ville, espace réserve aux
maigres loisirs des enfants et des adolescents. L’eau stagnante du canal
regarde, aveugle et muet les rixes de la bande du quartier.

Les ados jouent leurs jeux cruels, balancent
les lunettes d’une fille myope au fond de cette eau glauque. Fille malmenée,
désignée : elle couche, donc c’est une pute, etc. James,
le garçon de douze ans, personnage central de Ratcatcher regarde,
se promène, solitaire. Il rêve d’un endroit différent,
lumineux, peint en blanc. Car depuis longtemps les sacs poubelles ont envahi
le terrain de foot et l’aire de jeux de la cité. Des familles s’y
entassent, en attendant d’être relogés, rêve qui s’éloigne
au fur et à mesure que le film avance. Film sur le futur, hors champ
et hors de portée, Ratcatcher est la description précise
de l’univers de James (William Eadie). Tantôt menacé, tantôt
adopté par la bande de jeunes, il essaie de protéger un enfant
naïf et innocent, Kenny, (John Miller) qui restera hors de leurs plans
foireux. Dérouté par ceux qui jouent aux caïds et se
servent du corps de Margaret Anne (Leanne Mullen), en porte-à-faux
avec les adultes paumés, James va connaître sa première
expérience sexuelle. Apaisé, il peut enfin se laisser aller
et s’endormir sur le corps de Margaret. Depuis les films de Kanievski,
le cinéma n’a pas montré l’acte sexuel entre adolescents
avec autant de simplicité. Posture grotesque d’âmes en peine
ou jeux ludiques d’enfants ayant grandi trop vite, le temps suspend son
vol. Ces corps qui se reposent enfin, créent une respiration, un
espace de liberté, dépassant par leurs gestes simples le
cadre sordide de leur vie.
Filmé de façon particulière,
James, présent à chaque plan, reste en marge. Qu’il soit
cadré de loin ou de près, la caméra scrute son horizon
avec nous. En retrait par rapport a une histoire constituée par
les agissements bruyants des autres, il est saisissant dans son isolement,
son autonomie douloureuse. Seuls ses rêves sont en couleurs : une
chambre à soi, un lit pour lui tout seul, une petite maison avec
cuisine et salle de bain repérée en périphérie
de ville… pour toute la famille. Le père est comme maître
Puntila dans la pièce de Brecht, bon et désirant quand il
a bu, la mère fuit les services sociaux, l’huissier et les créanciers.
Solidaire de la détresse des autres, elle est une sorte de mère
Courage, intelligente et aimante, à l’opposé du modèle
de Brecht qui sacrifie ses enfants, mais James reste dans sa distance et
n’arrive pas à sortir de sa solitude profonde.
Des images s’imposent : un ballon emporte
un petit chien ; un enfant flotte dans l’eau ; des lunettes résistent
au repêchage… une fin ouverte pour un film construit en cadrages
décentrés et mouvants : raisons suffisantes pour nous interroger
sur l’origine du bouleversement profond qu’il produit.
Heike Hurst (Fondu au Noir)