La maltraitance des vieux a de l’avenir
Aujourd’hui, quand on entend parler des vieux,
c’est souvent pour évoquer leur nombre croissant, le coût
qu’ils représentent pour la société, etc. On insiste
donc sur la charge qu’ils font peser sur nous en évitant soigneusement
de poser les vrais problèmes du vieillissement. Depuis peu, le problème
de la maltraitance des personnes âgées sort son orteil de
l’ombre et on commence enfin à s’apercevoir que les conditions de
vie des vieux sont trop souvent misérables.
Profit pour les uns, enfer pour les autres
Les maltraitances morales et psychologiques
sont les plus fréquemment citées lorsqu’on aborde ce sujet
: pressions financières, paroles dégradantes, conduites dénuées
de tout respect de la personne (eh oui le vieux ou la vieille est aussi
une personne !). Ainsi en institution, les toilettes ou les soins intimes
sont souvent faits la porte ouverte, au regard de tout le monde, tandis
qu’on n’hésite pas à mélanger plusieurs aliments pour
que mémé mange plus vite, comme de toute façon elle
n’a plus de goût ce n’est pas grave. Et ce ne sont là que
des exemples.
Dans une moindre mesure, les violences
physiques constituent le deuxième type de maltraitance des personnes
âgées fréquemment cité dans les médias
: coups bien sûr mais aussi manipulations brutales, insuffisance
des soins au corps (on ne leur coupe plus les ongles, on ne lave pas les
dents…) ou alors on les laisse souffrir alors que les traitements de confort
contre la douleur existent et qu’on les maîtrise de mieux en mieux.
Comme si souffrir était naturel.
Mais les deux types de maltraitance que
nous venons de citer ne représentent qu’une partie du problème.
En effet deux autres catégories de maltraitances peuvent être
soulignées. D’abord, et c’est ce qui devrait nous choquer le plus,
la maltraitance sociale des vieux est celle qui fait le plus de victimes.
Nous entendons par là la mise à l’écart des personnes
vieillissantes, la dévalorisation encore trop souvent associée
à la retraite professionnelle, les graves carences en structures
d’aide aux vieux, la prégnance des représentations qui associent
vieillesse et inutilité, dégradation, radotage… C’est bien
le modèle social des âges qui nous imprègne tous de
ces préjugés profondément mortifères.
C’est pas la coquille qui fait l’œuf !
D’autre part, la gestion actuelle de la vieillesse
et de la grande vieillesse, souvent dépendante, consiste à
parquer tous les vieux dans des maisons, histoire de pas trop les voir
pour pas trop avoir à penser : est-ce que moi aussi je serai comme
ça ? A l’heure actuelle, de plus en plus d’entreprises privées
type maisons de retraite s’ouvrent, parfaitement en phase avec la conjoncture
économique qui veut que tout puisse être rentable. Ainsi des
groupes privés, parfois importants, font allégrement du profit
sur le dos des vieux ou de leurs familles (pour ceux qui n’ont pas les
moyens) : tarifs mensuels rarement en dessous de 10 000 F pour avoir le
strict minimum, et encore ! A cela s’ajoute la maltraitance infligée
par l’intermédiaire des soignants, qu’on oblige à travailler
dans des conditions qui dépassent tout entendement : moins de 10
minutes pour lever, doucher, habiller, coiffer, etc une personne grabataire
; une demie heure pour faire manger 10 personnes, impossibilité
de répondre aux besoins relationnels, etc. On fabrique des personnes
dépendantes en leur mettant une couche parce que les aides soignantes
ne sont pas assez nombreuses pour les emmener aux toilettes lorsqu’elles
le demandent. Et on conduit en parallèle les soignants à
l’épuisement, à l’obligation de considérer les patients
comme des objets pour éviter la culpabilité d’un soin bâclé
ou reporté « au jour où j’aurai le temps ».
L’être humain n’est pas une marchandise
Pour nous, il est clair que tant que la gestion
de la vieillesse sera pensée comme l’opportunité d’un marché
juteux, une source de profit au même titre que des boîtes de
pâtés, ces maltraitances existeront. Considérer les
vieux et la vieillesse comme inutiles et encombrants, c’est quelque part
légitimer ou dédramatiser toutes les violences que nous avons
citées. Si on veut réellement régler le problème
de la maltraitance des vieux, il faut nécessairement s’attaquer
aux logiques de profit et d’exploitation et redonner à chaque âge
de la vie une valeur qui ne soit pas calquée sur le parcours professionnel
mais sur les capacités et les initiatives de chacun. Plus largement,
il faut arrêter de considérer les malades, les vieux, les
handicapés comme des objets, même s’ils sont l’objet de soin
ou d’aide, mais les voir comme des sujets, avec tous les besoins que cela
suppose : physiques, médicaux mais aussi culturels, psychologiques,
de confort, de sécurité, de vie sociale… Toutes choses qui
paraissent tellement naturelles aux adultes !
Léonore — groupe Durruti (Lyon)