Ressources humaines

Laurent Cantet


Mardi 11 janvier 2000 : Beaubourg n’ouvre pas encore ses portes après travaux, car des personnels sont en grève contre les 35 heures. D’autres travalleurs protestent eux-aussi contre cette loi… Bulletin provisoire de la réalité sociale. Côté fiction, le bulletin de santé sociale est au beau fixe : Ressources humaines a été montré sur arte le 14 janvier, puis sur les écrans à partir du 15. Film sur les différentes problématiques que l’application des 35 heures ne cessera de susciter, Ressources humaines part d’une interrogation. Est-il vrai que le monde du travail se dresse, unanime, contre les 35 heures ? Voila sur quoi le film de Laurent Cantet démarre. Il nous présente un fils d’ouvrier, effectuant un stage dans l’usine ou son père travaille depuis trente ans. Chargé d’étudier la nature des reactions au passage des 35 heures, il conçoit un questionnaire. Le patron intervient pour modifier ses questions, disons la façon de les poser.

Face à ce questionaire, les attitudes sont très différentes. Les uns ne le remplissent même pas, arguant que ce n’est qu’une manœuvre de la direction… Les autres, dont son père, disent « tu me le corrigeras ». D’autres encore lui font comprendre qu’il est passé de l’autre côté, qu’il a trahi. Ainsi, par un mouvement centrifuge, on approche de la vraie question posée par le film : comment le père et le fils se sortiront de cette épreuve ? Morale ouvrière, éthique d’un travail lié à l’amour de « sa » machine, de son poste de travail, voici la position du père qui rêve une autre vie pour son fils. Et si ces 35 heures signifiaient réellement un mieux, plus de temps libre, plus de loisirs et des emplois pour des gens au chômage, pense sincèrement le fils. La déléguée syndicale n’a qu’un ricanement méprisant à opposer à ces arguments d’un social-traitre.

Qu’elle ait tort ou qu’elle ait raison n’est pas la raison du film. Car ce qu’on fait n’est pas déterminant, dit Laurent Cantet, ce qui est important, c’est comment on le vit ! Et le père vivra mal que son fils se dresse contre le patron qui veut le licencier au bout de trente ans. Le fils vit mal cette saloperie faite à son père. Et c’est à ce moment que le film devient poignant de vérité et de force, car au-delà de la fraternisation sur fond d’injustice sociale, il cherche véritablement à montrer ce qui est inaliénable pour chacun de ces deux hommes, accessoirement père et fils. Il révèle aussi l’humiliation infligée que le fils vit par et pour son père et qui va creuser un fossé entre eux. Chacun se révèle dans cette épreuve. Chacun va rester dans sa logique aussi. Face aux mutations du monde du travail, un très jeune réalisateur parle d’ouvriers, d’usines, de la lutte des classes, de l’amour du travail. Il le fait calmement et en toute simplicité. Laurent Cantet réussit à rendre son film poignant, sa fiction est vraie.

Le film s’est élaboré en plusieurs étapes : l’exposé parle d’un conflit père-fils dans le monde ouvrier : avec quelques pages rédigées, Laurent Cantet se rend avec son co-scénariste à l’ANPE de la région où il tournera son film. Il recrute des volontaires pour des répétitions. Il vérifie si les situations de son script sont convaincantes pour ces ouvriers, employés et cadres au chômage choisis pour le film. Les gens recrutés adhèrent à son projet, suggèrent des modifications de langage, formulent les phrases à leur façon. Tout avance très vite. En revanche, ça sera long pour trouver l’usine qui acceptera le tournage. Ressources humaines s’est ancré pas à pas dans la réalité : le film affronte l’inévitable lutte entre patron et ouvriers, l’angoisse liée aux licenciements et à la compression des effectifs, se coltine même un vrai ex-patron d’une PME qui a accepté de jouer ce patron-là.

C’est plus vrai que nature, mais c’est la lutte des classes quand même. La surprise vient du personnage le plus stéréotypé du film et d’un camarade d’atelier du père. La solidarité aussi est un mouvement.

Heike Hurst (Fondu au noir-Radio libertaire)