Face à l’offensive de la droite et du patronat

Préparons la riposte sociale


Il faut se rendre à l’évidence. La marée noire et la tempête ont aussi eu un effet catastrophique sur le plan des luttes sociales. Alors qu’on pouvait penser que les quelque 20 milliards de francs de recettes supplémentaires d’impôts alimenteraient la mobilisation des chômeurs ou que les nombreux conflits et grèves liés au passage aux 35 heures finiraient par crever l’actualité médiatique, nous en sommes pour nos frais. Toutes les velléités de relance des dynamiques revendicatives sont, pour le moment, comme tétanisées par la priorité qui a été donnée au manque d’électricité et de téléphone, aux arbres arrachés et au pétrole qui tue les oiseaux par milliers.

C’est sans aucun doute logique et humain, mais il n’empêche que nous n’avions pas besoin de cela alors qu’en temps « ordinaire » l’état d’esprit des salariés n’est déjà pas particulièrement offensif. C’est d’autant plus inquiétant que dans le même temps État et patronat sont plus que jamais arrogants et développent leurs stratégies de démolition des solidarités sociales tous azimuts.
 

Les petits patrons routiers au service du MEDEF

La semaine passée aura été marquée par l’action du petit patronat des transports routiers qui a bloqué les frontières sous prétexte que la deuxième loi sur les 35 heures et les hausses du fioul allaient les asphyxier face à la concurrence européenne. Ce type de mouvement à caractère poujadiste est dangereux parce que son objectif est plus politique qu’économique. Ce sont les trusts pétroliers qui ont la maîtrise des coûts d’un bout à l’autre de la chaîne de production et ils jouent au yo-yo selon leurs intérêts. Pourtant les petits patrons routiers n’ont rien dit sur les multinationales alors qu’ils accusent l’État socialiste de les matraquer de taxes et d’impôts. Il s’agit pour ce secteur du capitalisme de participer à une stratégie de déstabilisation dont le fer de lance se trouve être le MEDEF.

L’arrivée de Sellières à la tête du MEDEF a constitué un tournant dans la représentation du patronat français. La tendance patronale qui a le vent en poupe aujourd’hui a trois objectifs à atteindre qu’elle mène de front. Il lui faut ressouder un patronat de plus en plus « désyndicalisé », attaquer systématiquement le pouvoir socialiste, mettre en place des rapports sociaux de production empêchant tout développement de la lutte de classes. C’est dans ce sens-là qu’il faut percevoir la menace du MEDEF de se retirer de la gestion des organismes paritaires et le rejet de la loi sur les 35 heures. Il veut à tout prix mettre l’État en porte-à-faux et l’accuser de vouloir tout contrôler et légiférer en mettant les « partenaires sociaux » devant le fait accompli.

L’action du patronat routier arrive donc à point nommé, car chacun sait que le blocage des moyens de communication est spectaculaire et médiatique. De plus, mettre un ministre communiste en demeure de régler le problème n’était sûrement pas pour leur déplaire alors qu’on connaît l’ambiguïté du PC sur les lois Aubry. Le gouvernement a bien saisi la menace et cédé très vite alors que les salariés du secteur attendent toujours l’application des accords passés lors de leurs propres actions menées il y a déjà plusieurs années.
Dans le même temps, la répression syndicale se durcit vis-à-vis des militants refusant les compromissions et privilégiant la lutte collective. Il n’y a pas de hasard. C’est bien une volonté d’éradication de la lutte de classes qui est en œuvre et que le patronat croit, à tort, réalisable du fait que les bureaucraties syndicales sont intégrées et cogestionnaires du système de domination.
 

Les fonds de pension comme arme idéologique

Il est probable que la clé de voûte de cette offensive idéologique réside dans la mise en place des fonds de pension et des systèmes de protection sociale privés parce que cela individualise la perception que chacun a de son rapport aux autres. En fait, il s’agit d’un processus d’atomisation construit sur l’idée absurde que la seule réalité humaine est « le chacun pour soi et que les autres se démerdent ».
En ce sens, l’action du gouvernement Jospin qui crée la CMU après que Rocard ait créé le RMI doit être perçue pour autre chose qu’un humanisme à la petite semaine. Il s’agit bel et bien d’un accompagnement de ces politiques libérales et criminogènes. Comme il est impossible de totalement éradiquer le besoin d’entraide et de solidarité autant prendre les devants et mettre en place un système qui tout à la fois permet de tenir un discours du type « c’est mieux que rien » tout en empêchant la mise en place d’initiatives sociales autonomes qui reprendraient l’idée née au xixe siècle autour des mutuelles et des coopératives face à une absence totale de structures de solidarité. Les lois sur les 35 heures ont été pensées et mises en place avec des objectifs identiques.

Au bout du compte et au moment où le RPR essaie de se refaire une santé avec une présidente toute neuve et une opposition radicale à une pseudo réforme de la justice, nous risquons fort de voir le PS utiliser cette offensive générale de la droite. Les salariés vont avoir tendance à ne pas dénoncer et critiquer l’action gouvernementale soumise à la pression de la droite. Jospin et sa clique peuvent utiliser ce réflexe anti-droite pour nous refaire le coup de la gauche plurielle meilleur compromis possible. C’est déjà enclenché avec la prise de position de Jospin sur le vote des immigrés aux prochaines municipales. Il lui est facile de dire que lui voudrait bien mais que ces réactionnaires de droite bloquent tout et que par conséquent il n’y a rien à faire sauf de voter dans le bon sens. Bien entendu.
 

La gauche profite de l’offensive de la droite

Pour ce qui nous concerne, nous savons qu’en dépit des difficultés et des aléas conjoncturels de la vie sociale et politique nous sommes dans une période où s’élabore la prise de conscience collective que les logiques de pouvoirs tant au niveau de l’État qu’au niveau économique conduisent à l’échec.

L’idée qu’un gouvernement de gauche peut modifier les règles du jeu ont fait long feu comme chacun constate que le libéralisme conduit à un accroissement de la misère et à la précarité sociale, sans même que soient préservées ou améliorées nos conditions de vie dans les villes ni protégés les campagnes, les sols ou les rivages.

Les dirigeants de droite comme de gauche ne jurent que par les cours de la Bourse. Leur euphorie finira en gueule de bois. Aussi devons-nous nous préparer aux troubles sociaux qui en découleront.

Bernard. — groupe Déjacque (Lyon)