Généralisation de la police de proximité en 2002

Fliquer ou être fliqué : il ne faut pas choisir !


A l’heure où des partisans du combat anticapitaliste en viennent à demander un retour à on ne sait quel État-protecteur, il convient de rappeler qu’il n’y a pas désengagement de l’État mais repositionnement de celui-ci sur la « question sociale ». Pour preuve la prolifération de discours, d’études, de colloques ou d’articles de presse sur la « cohésion sociale », la « fracture sociale », le « délitement du tissu social » ou l’« exclusion ». L’État ne déserte pas le champ social comme certains essaient de nous le faire croire. Au contraire. Les pouvoirs publics ne cessent de se préoccuper de la destruction sociale en cours opérée par le capitalisme. Pour quelles raisons ? Selon quelles modalités ? Le pire n’est-il pas à craindre ?
 

Les « violences urbaines » : nouvelles menaces pour le capital

Tout le monde se rend bien compte que la nouvelle dynamique actuelle du capitalisme aggrave encore plus les inégalités. Les riches n’ont jamais été aussi fortunés et les pauvres aussi miséreux. Dans le même temps, les attaques patronales et étatiques ont brisé les solidarités ouvrières d’antan. Alors, la bourgeoisie peut-elle crier victoire ? Non, car une nouvelle hantise la guette. Ses éléments les plus lucides craignent une décomposition de la société. Les violences qualifiées d’urbaines (qui sont en fait des révoltes répondant à la violence que nous infligent quotidiennement l’État et le système économique) s’aggravent et se multiplient.

Pas une semaine ne se passe sans que des jeunes des cités s’en prennent à des chauffeurs de bus, à des enseignants ou à des équipements collectifs. Si ces saccages se passent la plupart du temps à la périphérie de la ville (voir l’article ci-dessous), ils commencent à se répandre dans les quartiers centraux et friqués des agglomérations à l’occasion notamment de manifestations comme celles des lycéens réclamant des gommes et des crayons et… plus de surveillants. Mais ce n’est pas tant le déplacement centripète de ces violences qui les inquiète le plus. Ils prennent déjà les précautions qui s’imposent : vigiles, vidéosurveillance, configuration des bâtiments intégrant la dimension sécuritaire, voire ghettos pour riches aux États-Unis, en Amérique latine, en Afrique et maintenant à Tokyo ou Milan. En réalité, le principal danger pour les classes dirigeantes est ailleurs et plus grave à terme : comment perpétrer les rapports de production capitaliste quand l’assise sociale est de plus en plus bancale ?  Pourquoi accepter les règles du jeu quand on nous présente le travail intérimaire à vie comme seul avenir possible ?
 

« Produire de la société » : un marché de plus

Or, au fur et à mesure que la précarisation gagne du terrain, les dirigeants s’aperçoivent que si une part importante de la productivité est permise par l’utilisation d’une main-d’œuvre taillable et corvéable, elle est aussi liée à l’environnement social. Ainsi, l’atomisation du corps social et le développement des « violences urbaines » risquent aussi de perturber la bonne marche du marché. D’où l’intérêt bien compris des possédants pour la lutte contre l’exclusion et l’accumulation de procédures, de dispositifs d’insertion (dans quoi ?), de relance de politique de la ville et autres professions liées au contrôle des populations acculées à la misère. Actuellement, la vogue chez les sociologues patentés consiste à « produire de la société » avec à la clé une multiplication de nouveaux services de la ville appelant de pseudo emplois : correspondants de nuits, agents d’ambiance, femme relais, grands frères… Au-dessus de ces fantassins du social, on trouve des chefs de projet, des agents de gestion rapprochée ou de développement, des experts concepteurs et des chargés d’insertion encadrés eux-mêmes par des élus locaux, des gestionnaires municipaux et des directeurs de services déconcentrés de l’État ou d’organismes publics et parapublics (Caisse des dépôts et consignations, société de HLM, ANPE, CAF…) chargés de relayer les orientations prises au sommet par les politiciens et les technocrates en « ingénierie sociale » et autres « technologies en intervention sociale ». Le tout constitue une armée d’encadreurs devant gérer la misère et organiser la régression sociale.
 

Vers un contrôle social serré du territoire

Pour une gestion au plus près du contrôle social, le centre étatique a délégué une partie de ses fonctions aux collectivités locales qui, débordées à leur tour par l’ampleur de la tâche, ont fait appel à la nébuleuse associative renfermant une main-d’œuvre bénévole ou bon marché et jetable si l’une de ces associations s’avise de se rebiffer contre les potentats locaux. Mais surtout, sous couvert de démocratie locale et de participation des habitants à la vie de leur quartier, un contrôle social des habitants par les habitants eux-mêmes se met en place peu à peu. Cette sorte d’autogestion de la misère se double aujourd’hui d’une « coproduction de la sécurité » comme l’appellent savamment les socio-flics à la botte des élus, cette forme de délation qui s’installe tranquillement dans nos villes. Dans ces conditions, on comprend la volonté de l’État de généraliser d’ici 2002 le rapprochement de la « police et des citadins » expérimenté dans 67 « quartiers sensibles » depuis 1999. Cette mesure réjouira sans doute la LCR qui préconise la mise sur pied « de formations ouvertes et adaptées offertes aux policiers afin que ceux-ci n’aient plus ces attitudes de méfiance et de racisme envers les jeunes des cités populaires », tandis que les contrats locaux de sécurité devront impliquer « des travailleurs sociaux et des élus locaux ayant des idées d’ouverture ».

Derrière les apparences de démocratie de proximité, d’actions labellisées « citoyennes » et autre « prise en charge des habitants », on découvre le nouveau visage de l’État : celui d’un totalitarisme en germe s’appuyant sur l’échelon local. Pour notre part, nous dénoncerons sans cesse cette République sécuritaire qui nous intime l’ordre de collaborer à la chasse aux pauvres.  À cet ersatz d’autogestion de la misère, nous opposons l’autogestion de la société, ce qui signifie au préalable la destruction du capitalisme et de l’État.

Guillaume — groupe Durruti (Lyon)