A la fin du dix-neuvième siècle,
beaucoup d’écrivains sont attirés par l’anarchisme : souvent
fascinés par les attentats de Ravachol ou d’Émile Henry,
ils rêvent d’écrire un livre qui serait comme une bombe et
saperait les fondements de la religion, la famille, la patrie… Les Symbolistes
célèbrent le « vers libre » comme le «
vers anarchiste ». La révolution, grâce à eux,
va toucher la littérature - à défaut de pouvoir éclater
dans la rue. On les retrouve plus tard, le succès aidant, bien installés
dans leur fauteuil d’écrivain reconnu, ayant abandonné toute
velléité anarchiste…
Ce n’est pas le cas de Mirbeau. Pour lui, l’anarchisme n’a pas été un engouement passager, une « erreur » de jeunesse, puisqu’il a découvert les idées de Proudhon et Kropotkine finalement assez tard, après avoir égaré sa plume dans des journaux bonapartistes et antisémites (mais dès 1883, il dirige Les Grimaces, l’ancêtre du Canard Enchaîné). Lorsqu’à partir de 1885, il adopte des positions de plus en plus anarchistes, il s’agit d’un engagement réfléchi et sérieux. Il soutiendra régulièrement Jean Grave (il est l’un de ses meilleurs défenseurs lors de son procès suite à la parution de La société mourante et l’anarchie), il aide financièrement les amis militants en difficulté. Il profite de sa position d’auteur influent (il est l’un des critiques les célèbres de son époque) et du fait que tous les journaux lui sont ouverts pour faire connaître ses idées. C’est dans Le Figaro, en 1888, qu’il publie un article intitulé : « La Grève des électeurs » : « Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. »
Il explique l’acte de Ravachol («
D’ailleurs, la société aurait tort de se plaindre. Elle seule
a engendré Ravachol. Elle a semé la misère : elle
récolte la révolte. C’est juste. ») tout en soulignant
les limites (politiques) des attentats. Envers des écrivains débutants,
il est également d’une grande générosité :
c’est lui qui a découvert Marguerite Audoux (une couturière
inconnue), Neel Doff, Charles Vildrac… Lors de l’affaire Dreyfus, il est
présent sur le terrain, donne de nombreux meetings à Paris
et en Province, ne recule jamais devant l’affrontement avec les anti-dreyfusards…
Pour Octave Mirbeau, être anarchiste ne se résume pas à
révolutionner les lettres, mais c’est aussi donner de soi, de son
temps, et de son argent, puisqu’il n’en manquait pas (selon les archives
de la police, c’est lui qui finançait Les Temps Nouveaux).