Une seule réforme des prisons : leur abolition

Faut-il améliorer la prison ? Ne devons-nous pas plutôt nous battre pour l’abolir ? Les anarchistes ne conçoivent une société que sans prison. Tout entre en perspective, humaniste ou réformiste, ne tend qu’à se constituer en complice du libéralisme, avec ses outils de contrôle et de fichage.

Il est singulier qu’un effet de mode amène une fraction de l’opinion, des intellectuels et des médias à s’émouvoir sur le sort des prisonniers. À partir de là, tout un chacun enfonce des portes ouvertes et répète à qui veut l’entendre que l’univers carcéral est indigne d’un pays démocratique. On nous parle des cafards et des rats de la Santé…
 

La santé de la prison…

Mais tout cela est connu depuis des dizaines d’années. Des individus et de mouvements ont pris la parole pour dénoncer l’absence de soins en prison. Mais qui a eu le courage d’ouvrir les yeux et les oreilles ? Qui même s’en souvient ? Le point n°9 de la plate-forme du Comité d’action des prisonniers, paru dans le « Journal des prisonniers » du 15 janvier 1973 est tout à fait clair : « Droit à des soins médicaux et dentaires corrects. » Les mêmes revendications nous sont parvenues au cours des années 80 et 90. Toutes rappellent qu’un médecin est seul pour 400 détenus. Il en voit 50 à chaque consultation. Ce n’est même pas de la médecine de brousse. Les traitements les plus courants, quel que soit le problème, sont l’aspirine et le valium. Les rages de dents se soignent à coup de tête dans les murs. La plupart des dentistes ne passent que de temps en temps. Et la nourriture ne respecte pas les règles les plus élémentaires de la diététique ; les prisonniers perdent une bonne partie de leurs dents. Faute d’argent, ils ne peuvent pas payer de couronnes, encore moins d’appareils ou de prothèses. Les dentistes se transforment rigoureusement en arracheurs de dents.

En 1985, l’Association syndicales des prisonniers de France exige, entre autres revendications, des prises en charge médicale et dentaire alignées en prison sur celle de l’extérieur. Et, pour l’an 2000, le collectif des détenus « longues peines » de la Maison centrale de Lannemezan écrit au milieu de toute une liste : « Nous émettons le vœu que les détenus gravement malades soient libérés (sida, leucémie, sclérose en plaque, cancers, etc.) » (Le Monde libertaire du 13 au 19 janvier 2000).

Contrairement à ce qui a été affirmé dans de nombreux médias, les détenus ne sont pas soignés intra muros comme nous le sommes dans le monde libre. Ainsi que l’a très justement rappelé Hafed Benothman, récemment sorti du Centre de détention de Melun, le prisonnier ne voit pas le médecin quand il le souhaite. Il doit rédiger une demande par écrit. Et, la visite ayant lieu à jours fixes, il ne verra celui qui peut l’aider que le jour où a lieu la visite. Dans certains cas, le mal a disparu. Dans beaucoup d’autres, il s’est aggravé, il a même pu devenir chronique. Hafed a failli mourir deux fois d’infarctus du myocarde entre 1996 et 1998 faute de soins. À l’occasion de crises dues à de l’insuffisance coronarienne, il a attendu des heures avant d’être emmené à l’hôpital. La pire des alertes a duré douze jours, le temps que l’on s’aperçoive qu’il n’était pas un simulateur.

Nous pourrions évoquer de nombreux cas, y compris personnels, de personnes évacuées à l’aube, après avoir hurlé toute une nuit. Claudius a souffert la mort vingt-trois heures avec un ulcère du duodénum au centre de détention de Caen. Arrivé « en urgence », au petit matin, à l’hôpital de la ville, il a été opéré séance tenante. Le chirurgien catastrophé a eu ce commentaire : « Avec la septicémie, si vous aviez attendu une heure de plus c’était un cadavre que vous auriez déposé dans la salle d’attente… »

La loi du 18 janvier 1994 a décidé que la santé en prison dépendait désormais du ministère de la Santé et non plus de l’administration pénitentiaire. Chaque établissement est rattaché à l’hôpital de proximité. Mais c’est un leurre. Le personnel médical est en nombre insuffisant. Il n’y a guère plus de 160 infirmières pour 185 prisons. Même si, à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, des progrès ont été constatés pour le traitement des détenus gravement malades, la situation générale reste préoccupante. Un prisonnier, faut-il le rappeler, n’a pas intérêt à tomber malade en pleine nuit. Le surveillant n’a pas les clefs des cellules. Si quelqu’un tape à la porte pour lui-même ou pour un camarade, le gardien traverse le bâtiment et vient voir de quoi il retourne. S’il constate que c’est sérieux, il part chercher le gradé qui se trouve parfois dans une autre division. Il faut alors compter le temps que les deux hommes reviennent à la cellule, la porte peut être ouverte… Mais les matons ne sont pas médecins. Si l’affaire est trop grave, ils repartent au bureau appeler des secours, médecin de garde extérieur, SAMU ou pompiers. Le temps qu’arrivent ces derniers, vous avez le temps de mourir plusieurs fois !
 

Détruire les prisons

Depuis les années 80, l’arrivée des toxicomanes et du virus HIV a obligé la pénitentiaire à s’occuper de la santé en prison. La gestion de la prévention avec les préservatifs a toujours été lamentable car elle heurte de plein fouet les taulards mal informés et campés dans des postures viriles, anti-homosexuelles. C’est seulement depuis quelques années que les détenus usagers de drogues ayant bénéficié, avant leur incarcération, de traitements de substitution peuvent les poursuivre ou les reprendre au cours de leur peine.

Depuis l’invention de la prison, lors de la Révolution française, soit plus de deux siècles, un seul livre sérieux a été écrit sur la santé en prison. Il est du Dr Daniel Gonin, il s’intitule « La santé incarcérée » (éditions de l’Archipel, 1991). Il nous parle de l’univers carcéral, de la médecine en prison, du tube digestif, des dents, de la peau, du sexe, de la toxicomanie et du suicide. Le reste n’est que littérature, frisson malsain et opportunité de gros tirages. Ne nous laissons pas détourner de nos luttes par ces semblants de réformisme. Nous n’avons pas besoin des bourgeois pour élargir le front anticarcéral. Nous n’avons qu’un mot d’ordre : la prison doit être détruite pour n’être jamais reconstruite.

Jacques Lesage de la Haye. — groupe Berneri