Réception des dignitaires musulmans
à l’Elysée
Religions et État quadrillent les banlieues
En recevant à l’Élysée,
le jeudi 13 janvier, une délégation de dignitaires musulmans,
Chirac ne se contente pas de réparer une (pseudo) « injustice
». En effet, et on est d’ailleurs fondé à se demander
pourquoi, la tradition républicaine comme ils disent, veut que des
représentants des différentes religions soient invités
aux vœux du président. Pourtant, notons-le au passage, la République
ne reconnaît aucun culte. Et comme il n’y avait pas de religieux
musulmans à ces fameux vœux, certains déjà glosaient
et faisaient remarquer que l’Islam est quand même la seconde religion
de France, et que si on conviait des religieux en tant que tels, il n’y
avait aucune raison pour qu’elle n’y fût pas représentée.
Soit. Mais ce n’est pas pour aggraver davantage les atteintes à
la laïcité que Chirac a déroulé le tapis rouge
pour recevoir ces imans, muftis et autres savants et doctes recteurs… Car
les invités en question sont aussi les interlocuteurs privilégiés
d’un souverainiste laïc intransigeant : Chevènement… Tout ce
beau monde se rencontre et s’agite pour construire le fumeux « Islam
à la française » soit disant « intégré
selon les principes de la laïcité ». Il ne s’agit pas
moins que d’organiser et de structurer le culte musulman à la manière
du culte catholique, protestant ou juif, afin d’en faire un interlocuteur
officiel, un membre de plus dans le grand lobby clérical. La difficulté
majeure étant l’absence d’un clergé clairement défini
dans la religion musulmane.
L’union sacrée
Derrière tout cela, se cachent des
motifs plus ou moins avouables, dont le principal fait consensus entre
d’une part le Président et l’opposition de droite, et d’autre part
le premier ministre et sa majorité plurielle. Et chacun pour des
raisons différentes, les deux camps sont tombés d’accord
pour essayer de cette façon d’obtenir la paix sociale dans les banlieues
! Le Président, parce que, en dépit de l’envie qu’il a de
glisser des peaux de bananes sous les souliers de Jospin, sait que trop
d’agitation dans les quartiers provoquent mécaniquement des réactions
épidermiques comme par exemple la montée électorale
du Front national. Ce dernier donnait bien quelques signes de faiblesse,
mais l’arrivée du RPF du vicomte de Villiers et de l’anisé
Pasqua est venue troubler le jeu. En bon politicien qu’il est, il sait
qu’un FN fort peut faire perdre beaucoup à la droite, notamment
par les triangulaires, et les municipales approchent. Et même si
côté FN il pouvait espérer être tranquille, l’irruption
et le succès aux européennes du RPF, qui nage dans la thématique
du FN, ne l’arrangent pas du tout. Quant à Jospin, il s’agit avant
tout de faire croire que la politique menée porte ses fruits dans
tous les domaines, aussi bien sociaux qu’économiques ou sécuritaires.
Le calme dans les cités est pour lui plus rentable électoralement,
pour son image de marque et sa stature d’homme d’État, que les bénéfices
éventuels du jeu politicien avec l’extrême droite, même
si par ailleurs la tentation est forte de continuer à brandir l’épouvantail
fasciste. Quel est donc le rôle que l’État laïc entend
faire jouer aux barbus ?
La sainte alliance
A défaut de trouver pour la jeunesse
immigrée des emplois autres que des petits boulots et des stages
bidons, de sortir les quartiers de la déshérence, de mettre
fin au racisme et à la ségrégation sociale, les gouvernements
utilisent tous les moyens possibles et imaginables, censés occuper
sainement une jeunesse désœuvrée et éviter ainsi les
révoltes urbaines. Outre la panoplie sécuritaire, on a eu
droit au sport, grâce à « l’image positive » des
champions, les animations socioculturelles, le rap… Mais ça n’a
qu’un temps, tout le monde ne peut pas devenir Zidane, Jordan ou Doc Gynéco
! Alors, pourquoi pas l’école coranique ! Aux imans de faire régner
l’ordre moral islamique, d’abrutir les jeunes en leur faisant apprendre
par cœur les sourates du Coran. À eux de faire la chasse musclée
aux petits dealers et aux consommateurs, de remplacer la dépendance
à une drogue par la dépendance à la prière
!

La société te rejette, rejette-la
parce qu’elle est non pas de classe mais à majorité chrétienne.
Tu es frustré matériellement, moralement, sexuellement ?
La mosquée t’accueille à bras ouverts et t’apporte la consolation
! En somme, l’État laïc sous-traite le quadrillage d’une partie
de la population en la livrant aux barbus, comme sous l’ancien régime
où le clergé avait ce rôle de maintenir les gens dans
l’acceptation de leur condition.
Toute la campagne médiatique autour
du Ramadan, de la chorba distribuée aux pauvres, des jeunes interviewés
vantant une sérénité retrouvée, un retour dans
le droit chemin grâce à l’Islam, procède de cet état
d’esprit : rendre positif aux yeux des gens ce qu’avant on noircissait
au nom de la lutte contre le terrorisme et l’intégrisme. Qu’importe
si on livre toute une jeunesse immigrée aux mains des barbus, qu’importe
si la situation des jeunes filles se dégrade, qu’importe si les
foulards islamiques se multiplient. Tant pis si cela va au rebours de l’intégration
et si on développe le communautarisme, si, sous couvert de retrouver
les racines, on assiste à un repli identitaire, ce n’est pas le
problème, du moment que rien ne bouge.
C’est cela aussi la subsidiarité des
traités de Maastrich et Amsterdam ! Quant à l’Église,
elle y trouve son compte. D’abord parce que sur le marché de la
crédulité, l’Islam ne joue pas sur le même terrain,
donc rien à craindre de son prosélytisme. Ensuite, dans la
remise en cause d’une laïcité qu’elle n’a jamais digérée,
cela permet d’avancer dans le concept de société multiconfessionnelle,
où les religions auraient un rôle prédominant dans
la société civile. Ce n’est pas un hasard où sur des
sujets comme le PACS, toutes se sont retrouvées au coude à
coude pour le condamner moralement. La sainte alliance est en marche, avec
la bénédiction de l’État laïc et républicain
!
Eric Gava. — groupe de Rouen