Equateur
Les politiciens refusent d’entendre la vox
populi
L’Équateur revient sur le devant
de la scène internationale avec un « putsch » alors
que l’on célébrait il y a peu les 20 ans de retour à
la démocratie (formelle). Longtemps surnommé « la Suisse
des incas » en raison des plaines fertiles bordées de volcans
qui traversent le pays, l’Équateur jouit de deux autres régions
aux climats et géographies bien différents : la côte
(élevage de crevettes et plantations de bananes et Guayaquil, port
du Pacifique et capitale économique du pays) et enfin l’Amazonie
(production de pétrole, d’or et de cacao). Malgré ses richesses,
c’est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique Latine.
L’économie se casse la gueule
Il faut dire que la conjoncture ne lui a pas
été favorable ces dernières années : la guerre
avec le Pérou avait repris en 1995 sur le problème frontalier
de la Cordillère du Condor (des accords de paix ont été
signés le 26 octobre 1997), le phénomène climatique
du Niño avait détruit en 1997 et 1998 des millions d’hectares
de cultures (coûts estimés à 17,4 milliards de F),
les exportations de crevettes et de bananes étaient freinées,
le prix du baril de brut baissait fortement (45 % du budget de l’État
est financé par les revenus pétroliers), ajoutons-y les contrecoups
de la crise financière internationale. L’Équateur plongeait
dans le rouge, sans que rien ne semble pouvoir arrêter la catastrophe
et ce, malgré les « judicieux » conseils du FMI, suivis
à la lettre (privatisations, coupes dans les budgets sociaux, licenciements
de fonctionnaires). Le « clou » est atteint en 1999 : la monnaie
nationale perd encore de sa valeur face au dollar US (dévaluation
de 197 %), la moitié des dépôts bancaires sont gelés,
les capitaux s’enfuient, l’inflation atteint 60 % (le pire taux de la décennie),
19 % de la population se trouve au chômage, 54 % est sous-employée…
Pour enrayer la crise, les autorités décident de ne pas payer
la dette extérieure. Le FMI ne s’offusque pas et demande l’assainissement
du système bancaire et financier et la poursuite des privatisations.

Le contexte politique n’est pas très reluisant non plus. Le mandat
de Duran Ballen (92-96) s’était achevé dans une grande instabilité
(le vice-président Dahik avait fui le pays fin 1995, inculpé
de détournements de fonds), lui succédait alors Bucaram,
(du Parti Rodolsiste Équatorien : populiste et homme d’affaires
haut en couleurs) destitué en février 1997 pour « incapacité
mentale » (il avait notamment jeté son salaire d’un balcon).
Pour préparer les nouvelles élections, Alarcón (du
Front Radical Alfariste) était nommé ; en avril 98, Mahuad
(du parti Démocratie populaire : démocrate-chrétien)
était élu et prenait ses fonctions en août. Dès
lors, les accusations de corruption allaient bon train… de quoi en avoir
ras-le-bol !
Chronologie d’une semaine agitée
Vendredi 7 janvier, le gouvernement décrète
l’état d’urgence face à la nouvelle vague de protestations.
Alvarez (ministre de l’intérieur) dénonce alors « le
mouvement subversif » qui prépare des actions violentes. 53
% des Équatoriens souhaitent alors la démission de Mahuad.
Mardi 11 : le président annonce son « souhait » de «
dollariser » l’économie (la parité du sucre est fixée
à… 25 000 pour 1 dollar) afin d’enrayer l’inflation. Mercredi 12,
la banque centrale approuve l’adoption du dollar comme monnaie nationale
(en accord avec le FMI). Jeudi 13, le Parlement des Peuples d’Équateur
(800 délégués, issus des secteurs sociaux, syndicaux
et indigènes) dirigé par Lunas, archevêque de Cuenca
et Vargas (président de la CONAIE, Confédération des
nationalités indigènes de l’Équateur) « assume
» le pouvoir et appelle à la désobéissance civile.
Ce Parlement a vu le jour à l’initiative
de la CONAIE et de la CMS (Coordination des mouvements sociaux). Les manifestations
de protestation s’intensifient dans les rues des grandes villes et la CONAIE
appelle à la grève générale pour le samedi
15 ainsi qu’à l’assaut pacifique de Quito (la capitale)… l’opposition
parlementaire annonce alors qu’elle ne les soutient pas.
La suite, on la connaît : le vendredi
21, le colonel Gutiérrez accompagné d’un groupe d’indigènes
(3 000 à 4000) prennent le Parlement et une junte « de salut
national » s’installe formée par Gutiérrez, Vargas
et Solórzano (ex-président de la cour suprême de justice)
dans le but d’une transition démocratique. Mahuad est démis
de ses fonctions. Les trois pouvoirs (exécutif, législatif
et judiciaire) sont dissous. Tandis que les États-Unis menacent
l’Équateur de représailles (« comme pour Cuba »),
les hommes d’affaires, la presse, la droite font « cause commune
» pour la « démocratie », à savoir : le
remplacement de Mahuad par le vice-président Noboa. A Quito, le
général Mendoza remplace Gutiérrez (arrêté
et détenu)… puis abandonne son poste. C’en est fini : le samedi
à l’aube, Noboa prend ses fonctions de président, accompagné
du commandement militaire et policier.
Son premier discours est clair : il poursuivra la politique de son prédécesseur
: dollarisation de l’économie et « modernisation » de
l’État (privatisations). Le Parlement des Peuples est dissous. Les
indigènes quittent la capitale et rentrent dans leurs communautés,
certains instigateurs du soulèvement sont poursuivis, d’autres,
par peur des représailles, passent à la clandestinité.
Les organisations de droits de l’homme demandent immédiatement que
les instigateurs du putsch ne soient pas poursuivis (malgré les
voix des « démocrates » qui souhaitent un châtiment
exemplaire).
Ima Llumpay