Marée noire : le gachis capitaliste
18 mars 1967, première marée
noire en Bretagne avec un pétrolier libérien. Instant de
panique car aucun expert jusqu’à ce moment n’avait pu imaginer qu’un
pétrolier puisse s’échouer : en Angleterre, on utilise du
détergent pour nettoyer la côte en détruisant tout
organisme vivant ! Les bénévoles sont mis à contribution
alors que l’on ne verra sur le terrain aucun politique. Lors des marées
noires qui suivront, même s’il sera toujours fait appel aux bénévoles,
l’État reprendra sa place (avec intervention de l’armée…).
Son objectif est de montrer qu’il est indispensable et qu’en dehors de
lui point de salut.
Après de longues (trop longues !) tractations
financières avec un remorqueur qui devait l’éloigner des
côtes, le 16 mars 1978, c’est au tour de l’Amoco-Cadiz de défigurer
les côtes bretonnes. Le plan Polmar est pour la première fois
mis en place sans réussite particulière : 300 kilomètres
de côtes sont englués. Dix ans après le 1er accident,
c’est la colère, l’indignation et la révolte qui gagne les
breton-ne-s. Les politiques, qui souhaitent se maintenir à leurs
postes, ont nommé (comme ils l’ont aussi fait il y a quelques jours)
une commission d’enquête parlementaire. La multinationale Standard
Oil, comme Total, présentera ses profonds regrets. Depuis les statistiques
de la préfecture maritime de Brest sont implacables : 17 pétroliers
se sont trouvés en difficulté au large des côtes bretonnes
depuis 1979. L’Erika ne peut donc en aucun cas être présenté
comme un accident.
Logique de profit = logique de mort
Les statistiques sont terribles car elles
mettent en évidence le risque généralisé de
pollution D’ailleurs, depuis trois marées noires sont à déplorer
: Turquie, Irlande et Brésil. Toujours d’après la préfecture
maritime de Brest, lors des dernières inspections, 50 % des navires
présentent de graves défauts, 80 % des accidents sont survenus
avec des navires de plus de 15 ans. L’Erika bien évidemment n’échappe
pas à cette logique. « L’Erika est un bateau vieux de 25 ans
qui a changé huit fois de noms et trois fois de pavillons, passant
d’un enregistrement à Panama, puis à Chypre avant de finir
à Malte (1). » Le lien de causalité entre l’exigence
de résultat, la course au profit maximum et la marée noire
est évident. Tellement évident que ce constat fait unanimité
à gauche comme à droite. Lors de sa visite bretonne, Chirac
déclare : « il n’est pas acceptable que la collectivité
subisse de plein fouet des dommages causés par la course effrénée
au profit (2). » Devant Demarest (PDG de Totalfina), au conseil régional
à Nantes, des élu-e-s du Parti Socialiste à ceux du
RPR, tous ont « exprimé leur volonté de mettre fin
à un libéralisme économique sauvage qui fait fi de
la vie des gens et de leur environnement (3) ». Passage obligé
pour ces tenants du capitalisme afin de ne pas se mettre à dos l’ensemble
de la population écœurée des pratiques de Total et des grandes
multinationales en général. Comment ne pas être choqué
par le groupe Total qui casse ses coûts de transport (en prenant
des risques au niveau de la sécurité) alors que cet été,
après un feuilleton à rebondissements, Total a racheté
Elf. Grande campagne publicitaire qui a permis à Demarest
de devenir le PDG de l’année !

Avec le chômage, la mondialisation…
le libéralisme a mauvaise presse. Même Madelin estime que
l’État doit encadrer le libéralisme. Même Pasqua a
voté pour qu’il y ait une commission d’étude sur la taxe
Tobbin au parlement européen. Mais on se contente de dénoncer
vaguement le libéralisme sauvage (ou outrancier…) car cela évite
une mise en accusation du capitalisme lui-même. Quelle est donc la
différence entre « libéralisme », « libéralisme
sauvage » et « capitalisme »… ? Aucune ! Le capitalisme
est un système où les moyens de production et de distribution
sont détenus par une classe sociale. La bourgeoisie tente à
son niveau d’en avoir un contrôle absolu. Son objectif est simple
: augmenter ses profits ! Ainsi quand on licencie dans une entreprise,
les actions grimpent en Bourse. Les actionnaires sont contents : la masse
salariale diminue et les profits augmentent ! Ainsi une compagnie pétrolière
a aussi tout intérêt de réduire ses coûts de
transport, quitte à prendre des risques qu’il conviendra d’estimer
et d’assurer.
Quand les riches polluent, les pauvres nettoient
!
Dès le premier jour de pollution, les
bénévoles ont afflué. Dégoûtées
par la situation, c’est par réaction émotionnelle que des
centaines, des milliers de personnes se sont proposées. Les stations
côtières, ces villes faisant des bénéfices énormes
avec le tourisme et qui par ce biais ne respectent aucunement l’environnement
(urbanisation du front marin…) les ont accueillies à bras ouvert.
La question de la protection sanitaire n’a jamais été posée.
Effectivement le fioul ça pue… Au bout de quelques heures, on peut
avoir des formes d’étourdissements et/ou de nausées, mais
les pouvoirs publics nous ont rassurés : les dangers sont limités.
On leur fait confiance : le 15 décembre, ils nous disaient que tout
risque de pollution était écarté ! En direct sur France
Inter, le PDG de Totalfina, un peu gêné devant de tels dévouements,
a donné une journée de son salaire aux bénévoles.
Sans préciser la somme ! Quelle générosité
quand on sait que le chiffre d’affaire horaire de Total est de 40 millions
de francs ! Quelle générosité quand on nous ressasse
sans arrêts les fondements de la citoyenneté : quand on commet
une faute, on se doit de la réparer.
Les bénévoles étant
moins nombreux après les vacances scolaires, des membres du Conseil
Général de Loire-Atlantique ont parlé de mettre en
place des CES spécifiques de trois mois. SOS Racisme a proposé
que des « brigades » de jeunes volontaires (bénévoles)
nettoient la côte. Dans un élan révolutionnaire, ses
acolytes du PS ont tout de même proposé que Total fournisse
cirés et pelles. La justice a été contactée
et les TIG (travaux d’intérêts généraux) ont
été multipliés en direction de la côte.
Que le nettoyage de la nature se fasse au
détriment de la nature elle-même ne gêne pas outre mesure.
Sans être particulièrement expert, se pose la question du
stockage et, dans la précipitation, le fioul a été
déposé dans des sites intermédiaires sans protections
particulières vis-à-vis des sols. Un élu de la commune
de Tharon Plage (44) s’en explique : « Il faut comprendre. Tout le
monde était sous le choc lorsque les premières plaques de
fioul sont arrivées. Instinctivement, on a commencé par ramasser
avant de se poser la question du stockage. » (4) De même, des
anciens sites de 1978 ont été étrangement retrouvés,
comme oubliés par miracle : à Donges (44), on a trouvé
4 000 tonnes ainsi qu’à La Rochelle… Et au-delà même
des déchets, le nettoyage ne prend pas en compte l’écosystème.
Effectivement, on observe des passages répétés d’engins,
des nettoyages avec des jets d’eau très puissants, des enlèvements
massifs de sable sur les plages… L’objectif n’est pas de respecter l’environnement
mais de sauver la saison touristique : il faut donc que dans les apparences
tout soit propre.
En 1978, cela devait être déjà
la dernière. Les politiques réclament des réglementations.
Même le PDG de Total y va de sa prose : « Il faut aussi augmenter
la fréquence des arrêts techniques des navires de plus de
20 ans… Il faut créer un organisme européen de contrôle
des sociétés de classifications… (5) » Il faut en quelque
sorte assagir le capitalisme, expliquer à un-e bourgeois-e, qu’il
serait souhaitable qu’il cesse de vouloir se faire toujours plus d’argent.
La dernière marée noire ?
Capitalisme et écologisme sont incompatibles.
Et, au sein des différents collectifs, on peut et on doit lutter
contre toute forme de récupération politique. Mais cela ne
doit pas nous empêcher de poser les questions de fond au risque de
revivre la même chose dans dix ou vingt ans.
Car depuis décembre dernier, la
gauche plurielle très discrètement instaure un permis de
polluer. Certes, la revendication « Total doit payer » ou «
pollueur payeur » est légitime devant l’urgence de la situation
mais, dans le principe, elle est aussi dangereuse. Cela revient à
légitimer le droit de polluer pour les possédants. Certes
les matières premières n’existent pas en quantité
infinie mais instituer un seuil d’utilisation au-delà duquel on
doit payer est un système pervers. Le patronat intégrerait
cette donnée pour la faire répercuter ailleurs. Le patronat
négocierait dans un premier temps des réductions des coûts
sociaux (réductions des charges sociales par exemple réclamé
par le patronat du transport face à l’augmentation du gasoil). Dans
un deuxième temps, il intégrerait dans ses prix de vente
le coût de la taxe et la pollution serait ainsi entérinée.
Mais le système du permis de polluer, proposé par les États-Unis
et que s’apprête à signer le gouvernement, est encore plus
pervers (6). En achetant et en entretenant des parcelles de forêts,
on pourrait ainsi s’acheter des droits de polluer par ailleurs. Si on estime
qu’une aire de forêts absorbe tous les ans 1 tonne de CO2, il ne
reste plus qu’à faire le calcul. Ce système est en train
de se mettre en place au niveau du continent sud-américain… Bien
évidemment, selon la direction commerciale de Peugeot, son achat
récent de 12 000 hectares de forêt au Brésil est une
pure coïncidence. Libéralisme sauvage ou tout simplement capitaliste
?
Régis B. — groupe F.A. de Nantes
(1) Le Monde libertaire n°1188
du 13 janvier 2000.
(2) Ouest-France du 20 janvier
2000.
(3) Ouest-France du 23 janvier
2000.
(4) Le Parisien du 19 janvier 2000.
(5) Libération du 24 janvier
2000.
(6) Présenté à l’occasion
du programme de lutte contre les effets de serre le 19 janvier 2000.