Tranport maritine : toujours la loi du profit
Le problème posé par le naufrage
de l’Erika est celui du transport maritime des hydrocarbures. Pourquoi
celui-ci a-t-il pris des proportions considérables ? Parce que l’énergie,
la houille d’abord, puis le pétrole et l’électricité
sont devenus indispensables à toute activité agricole, industrielle,
commerciale, à la vie domestique, aux loisirs. Plus précisément,
le système capitaliste, toujours à l’affût du profit,
découvre, avec le pétrole, une nouvelle source de gain, et
oriente dès lors la société vers une production accrue,
et même un gaspillage organisé de cette énergie. C’est
sans nul doute l’essor de l’automobile, symbole fort du capitalisme, qui
a amorcé la pompe des 500 millions de véhicules circulant
dans le monde et qui sont les plus grands consommateurs d’énergie
fossile. De 1950 à 1970, la consommation totale d’énergie
double en Amérique du nord et triple presque en Europe occidentale.
En 1970, les Occidentaux, qui ne sont qu’un sixième de la population
mondiale, consomment à eux seuls plus de la moitié de l’énergie
produite dans le monde. Chaque année, l’humanité consomme
une quantité de combustibles fossiles équivalente à
celle constituée en un million d’années !
Le pétrole ouvre la perspective
d’une rente considérable : royalties pour les pays producteurs,
taxes à la consommation pour les États des pays consommateurs,
mais surtout profits pour les compagnies pétrolières internationales.
Le fameux or noir ! Quelle qu’en soit la couleur, l’or n’a jamais profité
aux pauvres. Le fait que, d’une part, les principaux pays producteurs soient
arabes, et que d’autre part les pays gros consommateurs sont l’Europe occidentale
et le Japon, nécessite une organisation gigantesque du transport
des hydrocarbures. Ce trafic maritime pétrolier important va se
développer selon la loi du profit.
Le transport maritime au moindre coup
Il faut, on l’a vu un, volume global de «
production » de plus en plus important. L’organisation de la société
s’établit donc dans le sens du gaspillage : matraquage publicitaire
pour créer des besoins artificiels, usure programmée des
biens de consommation, politique des transports privilégiant la
voiture individuelle au détriment des transports en commun et du
rail. Il faut des navires de plus en plus gros puisque la tonne de pétrole
transportée par un bâtiment de 550 000 tonnes coûte
3 à 6 fois moins cher qu’avec un bâtiment deux fois moins
gros.
Il faut réduire les coûts
d’entretien, louer des bateaux le moins cher possible, au voyage. D’où
la multiplication des navires-poubelles, ne répondant pas aux normes
techniques et responsables des marées noires (il faut savoir que
60 % des catastrophes en mer concernent des navires âgés de
plus de 15 ans et que le contrôle technique obligatoire tous les
cinq ans n’existe pratiquement pas ; en outre, les experts des sociétés
de classification qui délivrent les documents garantissant le bon
état de navigabilité, sont financés par les armateurs
!). C’est le cas de l’Erika : une des citernes du pétrolier, âgé
de 25 ans, était dévorée par la corrosion (corrosion
d’ailleurs signalée par la société de classification
italienne Etna). C’est la fissure d’une cloison qui a fini par provoquer
la cassure du navire en deux parties.
En 1980, un rapport officiel du ministère
des transports, le rapport Chassagne, mettait en évidence l’impérieuse
nécessité de renouveler la flotte pétrolière
française (les besoins étaient estimés à 15
navires de plus de 200 000 tonnes pour le pétrole brut, et autant
de 20 000 à 40 000 tonnes pour les produits raffinés). Il
faut réduire les coûts de main-d’œuvre. D’où le développement
des pavillons de complaisance (qui représentent 60 % de la flotte
mondiale) et qui permettent aux grandes compagnies d’exploiter les marins
des pays pauvres, les « négriers des temps modernes »,
parce que les paradis fiscaux que sont Panama, Chypre, Malte et autres
Bahamas offrent des avantages considérables et une réglementation
des plus laxistes. La France ne peut d’ailleurs pas se permettre de donner
des leçons. C’est Chirac, alors Premier ministre, qui a créé
en 1987 le « registre blé » des Kerguelen, qui permet,
tout en restant sous les couleurs nationales, de ne pas appliquer le code
du travail maritime et d’employer des marins étrangers à
des conditions qui ne sont pas celles des marins français.
Des législations bidons
Comment réagit la classe politique
? Comme d’habitude. D’abord, on minimise avec des phrases telles que «
Une pollution majeure mais pas catastrophique », puis on se lance
dans les vœux pieux. Le PS propose sans rire de créer une commission
d’enquête parlementaire sur le transport maritime. Nos ministres
plaident pour le renforcement de la sécurité dans les transports
maritimes ; ils veulent porter la limite des eaux territoriales françaises
à 200 miles nautiques et durcir les sanctions à l’égard
des donneurs d’ordre. La commission de Bruxelles envisagerait d’imposer
aux navires un contrôle technique annuel.
De qui se moque-t-on ? Voilà plus
de 20 ans que les premières alarmes ont été lancées
concernant le transport maritime des hydrocarbures (voir « La nature
dé-naturée » de J. Donet en 1965). Rien ou presque
n’a été mis en œuvre depuis. Ce ne sont pourtant pas les
textes, les délibérations d’initiatives européennes
qui ont manqué. En 1993, un contrôle accru des pavillons de
complaisance et des sociétés de classification était
déjà prévu. Les eurocrates entendaient aussi faire
appliquer le principe « pollueur-payeur ». L’absence de volonté
politique a permis aux navires-poubelles de proliférer. Faudrait-il
croire qu’une nouvelle législation modifiera la situation alors
que l’existante n’est pas appliquée ? Faudrait-il croire à
la volonté du gouvernement de préserver l’environnement alors
qu’il s’engage dans la voie des « permis de polluer » comme
le souhaitent les industriels ? Il faut comprendre qu’on ne peut «
réguler » le capitalisme, selon un concept à la mode
: on subit sa dynamique ou on la casse.
Jean-Pierre Tertrais. — groupe La Commune
(Rennes)