Violence à l’école : toujours plus de sécuritaire 
dans un monde de brutes

Vols, rackets, persécutions, insultes, agressions, grève de profs et parents d’élèves… Les dernières recrudescences de violence dans les établissements scolaires ont remis ce débat sur la table, récurrent quand les médias n’ont rien à se mettre sous la dent. Alors nos chères têtes blondes auraient-elles perdu la raison ? En tous cas, depuis 1998, la violence à l’école est une priorité du ministre de l’Éducation nationale Claude Allègre, qui devait présenter la seconde partie de son plan gouvernemental de lutte contre la violence, très attendu par la presse, les parents d’élèves et les enseignants.
 

Du personnel précaire pour améliorer les choses…

Le ministre a commencé par créer cinq nouvelles zones prioritaires : Lille, Versailles, Rouen, Toulouse et Strasbourg, ce qui fait une soixantaine d’établissements du second degré supplémentaires environ. En ce qui concerne le manque d’effectifs (enseignants, infirmières, médecins scolaires, surveillants…), presse écrite et radios pronostiquaient la création de 20 000 aides-éducateurs. En réalité, les chiffres ministériels sont bien en deçà des espérances : en effet, ce sont 7000 postes qui vont être créés, parmi eux 4000 aides-éducateurs, et seulement 100 infirmières, 800 surveillants et 100 CPE. Grande nouveauté : les ATOS (Agent technique ouvrier et sanitaire) seront remplacés par 2000 emplois-jeunes ouvriers, recrutés à niveau CAP-BEP. Et point de postes d’enseignants !

Malheureusement, depuis de nombreuses années, professeurs et élèves font grève et manifestent contre le sous-effectif de ces premiers, les non-remplacements de professeurs absents, les classes surchargées, tous ces facteurs qui rendent les conditions de travail des uns et des autres impossibles et survoltées. Mais la priorité est donnée à la création de ce nouveau type de travailleur social qu’est l’emploi-jeune, afin de venir en aide aux équipes pédagogiques déjà sur place. Le ministre assure que, cette fois, ceux-ci recevront une formation appelée « médiation/contact » afin de réagir au mieux une fois confrontés aux situations de violence. Les premières réactions de professeurs et d’élèves ne se sont pas faites attendre et soulignent que le manque de surveillants et de personnels administratifs fait que, bien souvent, les aides-éducateurs sont relégués à remplacer ce personnel manquant (surveillance de la cour, de la cantine, aide aux devoirs, papiers administratifs…). Ceci est d’une part en grande partie contraire à leur convention, et d’autre part les empêche de travailler au projet pédagogique qu’ils s’étaient fixé et pour lequel ils ont été embauchés. Mais l’avantage est que c’est un personnel très flexible, disponible pour boucher tous les trous, et qu’en plus, c’est la seule catégorie d’emplois-jeunes dont le poste ne sera pas pérennisé à la fin de ses cinq ans de bons et loyaux services. Alors que demander de mieux ! L’ensemble du corps enseignant déplore également que sous un préavis d’une semaine ou deux les emplois-jeunes peuvent quitter leur poste s’ils ont trouvé un emploi stable, pour être remplacé par un nouvel aide-éducateur avec qui il faut reprendre tout le travail de formation.
 

Prévention et répression sont dans un bateau, prévention tombe à l’eau…

Le second volet de ce plan de lutte contre la violence à l’école concerne l’amont du problème : la petite école. Sur ce terrain, Claude Allègre propose le retour en force de l’enseignement de la morale et de la citoyenneté à l’école. Ainsi, depuis septembre 98, des élèves de classe de seconde ont 16 heures annuelles d’Enseignement d’Éducation Civique Juridique et Sociale, assurées non pas par des enseignants supplémentaires, mais par les profs d’histoire-géo à 80 % des cas. C’est apparemment chaque prof qui décide de quoi il va traiter avec ses élèves, et cela semble être plus un espace de discussion et de réflexion qu’un cours formel. Pour ce qui est de l’apprentissage de la morale, le ministre a été avare de détails, on ne sait encore ni ce qui sera au programme, ni comment vont réagir les profs qui retombent 50 ans en arrière (pourquoi pas du catéchisme tant qu’on y est pour apprendre à respecter son prochain !).

Un autre grand slogan de ce plan de lutte contre la violence est la « justice scolaire », qui se traduira à la fois par l’établissement d’une échelle de sanctions scolaires et de punitions disciplinaires que pourra pleinement appliquer le conseil de discipline (jugé jusque-là incompétent car ne pouvant faire appliquer que les renvois supérieurs à huit jours) et également l’application des principes généraux du droit à l’école (sanctions et procédures écrites dans un règlement intérieur qui sera le même pour tous les établissements ; possibilité pour l’élève de se défendre ; proportionnalité et individualisation des sanctions). Encore une fois, il s’agit de rendre plus efficace le système de sanction, calqué sur le modèle d’un tribunal scolaire, alors que ce qui était attendu était de s’attaquer aux racines sociales de cette violence.

Et pour couronner le tout, Allègre a décidé de faire plaisir à Chevènement, lequel déclarait qu’il fallait « des sanctions sévères » à l’encontre des phénomènes de violence. Chose promise, chose due : sa police de proximité pourra donc patrouiller aux abords de 75 lycées très sensibles, voire intervenir à l’intérieur quand une altercation dégénère. On peut présager que ceci n’augure rien de bon et que la présence de policiers va en certains endroits encore plus accroître les tensions et non pas régler les problèmes.
 

Expression d’un mal-être général

Au-delà des déceptions provoquées par ce plan, une chose intéressante ressort de ces débats autour de la violence à l’école : tout le monde est conscient que celle-ci est poreuse aux violences du monde extérieur, et que ce qu’il s’y passe est le symptôme et le révélateur d’un mal-être chez les jeunes en général. Le fait est que l’on vit dans un système violent dans son ensemble, où le mythe de l’école de l’égalité des chances est balayé par les réalités économiques et sociales don tout le monde a conscience (chômage, précarité, compétitivité, racisme et discriminations, intolérances…). Au final, ce plan de lutte contre la violence à l’école, attendu et monté en épingle par de nombreux médias, est un flop complet. Allègre pense que précarité et sécuritaire vont endiguer le phénomène, il en est le seul convaincu. Même si ce type de mesures existaient déjà, elles ont au moins le mérite de mettre en valeur la personnalité déjà très critiquée du ministre, qui apparaît encore plus comme un homme autoritaire, qui veut que l’on fasse la morale à l’école et qui veut gérer les causes sociales de la violence par encore plus de sécuritaire. Qui respecte qui dans tout ça ?

Séverine. — groupe Jules-Vallès (Grenoble)


« Violences scolaires : Claude Allègre ajourne le traitement de fond », Le Monde du 28 janvier 2000, p. 9.
« Les débuts chaotiques de la nouvelle instruction civique », Le Monde du 27 janvier 2000, p. 9.
« Face aux violences, Claude Allègre veut renforcer la discipline scolaire », Le Monde du 23-24 janvier 2000, p. 7.