1999 Madeleine

Laurent Bouhnik

Depuis Select Hotel, Laurent Bouhnik a des fans. Depuis Zonzon il a encore plus de fans, mais ce ne sont pas les mêmes. Ses films sont aimés ou détestés. Quoi qu’on en dise, son cinéma a toujours une position citoyenne forte, même quand il nous parle de junkies.

Dans Select Hotel, (réalisé avec 80 000 F) un cordonnier, marchand de chaussures, politiquement à droite, suivant la piste d’une paire de chaussures volées dans son magasin, découvre un monde qu’il ne soupconnait pas et change a son contact. À la fin du film, il ne cassera plus du jeune, c’est certain. Quelque chose de fort l’a bouleversé profondement. Virtuosité de la mise en scène en studio de la prison où se passe Zonzon, son deuxième long métrage, adapté d’une pièce de théâtre considérablement modifiée. Révélation de Jamel Debbouze dans un vrai grand rôle. Et adhésion du public. Zonzon a bien marché en salle, la vidéo marche bien aussi.
 

Un journal en dix films

« Moi, j’ai mes films à faire » dit Laurent Bouhnik. Car avec 1999 Madeleine, il débute une série de dix films, une sorte de journal pas comme les autres. Co-produits par Playtime et Canal Plus, le coût ne dépassera pas les 10-12 millions de francs par film. Concept original : les dix personnages présents dans 1999 Madeleine seront à leur tour protagoniste principal des autres films… à venir. Laurent Bouhnik n’aime pas beaucoup parler de ses films, de toute évidence, il aime les faire. Auteur de ses films, assumant les taches les plus diverses, il est à la fois metteur en scène et technicien de ses films. Pour 1999 Madeleine, il a innové au niveau du son. Son dispositif de cadrage a permis de suivre le personnage et l’a oblige a une drôle de gymnastique. Les sons suivent les personnages au lieu d’être réunis au mixage au milieu de l’écran comme pour les autres films.

« Si je n’avais pas voulu le faire moi-même, aucun ingénieur du son aurait accepté de le faire.» Auteur au sens complet du terme, il décide de tout, mais s’appuye sur une équipe, toujours la même, rodée a ses méthodes : « J’ai une manière très particulière de travailler avec Gilles, (Gilles Henry) qui est aussi mon chef-opérateur. Tous les cadres sont déterminés par moi, mais avec Gilles. C’est cela qui est bien, quand on travaille avec un artiste, il améliore, il magnifie au niveau du cadre et du son. »

Véra Briole, qui interprète Madeleine, a été recompensée pour son travail à Locarno par le prix d’interprétation. L’histoire de Madeleine, c’est le quotidien d’une couseuse, retoucheuse qui travaille dans la petite boutique de Monsieur Paul (Jean-Francois Gallotte). Sa vie, c’est l’espace exigu entre sa machine a coudre et son appart, ripoliné de propreté, miroir lisse de sa solitude.
La fermeture de la boutique lui donne le temps de sortir et de s’ouvrir à autre chose. Elle articule ses désirs, vit dans l’instant. L’accueil qu’elle fait au représentant d’aspirateurs (Manuel Blanc), ou la rencontre dans l’autobus (Jean-Michel Fête) sont des tranches de vie délicieuses, ironiques, à savourer absolument.

On rit souvent dans 1999 Madeleine, on rit des situations et des paroles, on ne rit jamais des personnes. Conquis, le spectateur suivra Madeleine, la filant à distance. Chanceux il s’approchera de son espace intérieur. Il admirera la liberté de Madeleine, lancée a la reconquête d’elle-meme. Avec 1999 Madeleine, Laurent Bouhnik confirme son travail sur la couleur, sur l’esthétique, mieux encore, il a trouvé son style. Vivement 2000 Eve avec Anouk Aimée !

Heike Hurst (Fondu au Noir)

(propos de Laurent Bouhnik recueillis à Locarno, août 1999)