Interview de l’association Robin des Bois

Les dessous du nettoyage

ML : Depuis le 12 Décembre, quelle est la situation écologique ?
Jacky Bonnemain : La marée noire connaît trois phases. La plus dangereuse est sans doute celle qui est invisible entre l’épave de l’Erika et le linéaire côtier touché Les molécules les plus toxiques (hydrocarbures polycycliques aromatiques) s’agrègent dans les sédiments marins, toxifient les organismes, nuisent à la reproduction du plancton et dégradent l’état sanitaire des poissons de fond, crustacés et coquillages. Un impact à long terme dont les effets seront difficiles à mesurer. Il faudra être vigilant sur ce point car toutes les forces en présence, en particulier Total et l’industrie du tourisme, n’ont pas intérêt à développer ces recherches. La deuxième phase se déroule à l’interface du littoral. Parfois situé à quelques kilomètres. Il s’agit de stockage intermédiaire de déchets. Placé sans prise en considération des sensibilités et fragilités des écosystèmes du littoral. Parfois situés à quelques kilomètres de la côte, on peut observer de multiples aberrations : pas d’étanchéité réelle, proximité de cours d’eau, implantation dans les marais… Fermés quinze jours après l’ouverture de ces sites (quand ils sont connus et répertories !), il reste de coulures importantes, des pertes d’hydrocarbures sur les chemins d’accès. Puis reste le problème des déchets mélangés, des équipements souillés… La troisième phase c’est la côte sauvage qui reste très lourdement polluée. Par exemple en Loire-Atlantique entre Batz sur mer et Le Croisic il y a un front de mer de 200-300 mètres de profondeur et qui reste noir : le nettoyage s’avère très difficile.

ML : Que pensez du Plan Polmar
J B : On s’est doté d’une nouvelle structure en Décembre 1997. Et pour son baptême de feu, c’est une véritable faillite. Autant en mer que sur terre. Le plan Polmar pour la mer donne de nombreux pouvoirs au préfet maritime dont celui d’hélitreuiller, à bord d’un bateau lors de la première avarie, des experts pour faire un diagnostic et prendre immédiatement les mesures adéquates. Or l’Erika a été abandonnée à elle-même pendant 36 heures au large de la Bretagne. Pour le plan Polmar terre, c’est la même faillite. On s’est en permanence trompé sur les prévisions sur les côtes qui seraient touchées et du coup les équipements de nettoyage, les barrage flottant n’étaient pas là…

Ce n’est pas forcément toujours la compétence des experts qui est en cause mais surtout leur dépendance. Prenons le cas du CEDRE (Centre de Documentation de Recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux). Le CEDRE est piloté (et en partie financé) par l’industrie du pétrole elle-même L’idée du CEDRE, c’est que la marée noire ne soit plus une catastrophe écologique. La tactique principale est donc de repousser le plus loin possible les épaves encombrantes et de diminuer le retour à terre des polluants, tout en minimisant et en relativisant les effets toxiques du pétrole. Avec ce style de raisonnement, on peut se dire qu’il ne faut pas s’affoler avec 20 000 tonnes de pétrole car en 1978 la Bretagne en avait reçu 220  000.

ML : Et cette marée humaine de bénévoles, au premier abord on pourrait parler d’une solidarité qui compense les incapacités d’un Etat…
J B : Au tout début, pour répondre à l’urgence, on a connu une concentration très élevée de bénévoles qui pour certains travaillaient jusqu’à 20 heures par jour. Et sans protection particulière. Pourtant les hydrocarbures volatils sont toxiques et provoquent des irritations oculaires, vomissements, évanouissements, confusion et troubles du comportement. C’est seulement après un communiqué de Robin des Bois, en date du 12 janvier que le débat a été lancé. À ce jour 400 consultations ont été répertoriées… Après la marée noire on a connu la marée humaine. On a d’abord connu une mobilisation capitaliste avec par exemple le Crédit agricole du Morbihan qui a donné une journée à ses salarié-e-s pour aller nettoyer. Puis on a eu aussi des groupes spécifiques comme des sans-papiers, des adolescent-e-s de banlieues, des classes vertes, des chômeur-euse-s… On doit être vu en train de nettoyer les oiseaux et le rivage ! Mais au-delà des polémiques sur le nettoyage c’est bien la logique économique, la logique des pavillons de complaisance et la logique de l’imprévoyance auxquelles il faut s’attaquer…

propos recueillis par le groupe F.A. de Nantes