Equateur : un coup pour rien ?

Près d’un mois après le soulèvement indigène et populaire du 21 janvier qui a abouti à la création d’une junte civico-militaire en vue d’une transition démocratique puis au maintien du système en place, avec l’imposition par les forces armées, les États-Unis et l’oligarchie, de Gustavo Noboa comme président (voir ML n° 1191), il semble important de revenir sur les protagonistes du « putsch » et sur les perspectives qui s’ouvrent aujourd’hui. Depuis quelques années la société équatorienne se bipolarise toujours plus : d’un coté les détenteurs du pouvoir et de l’autre l’immense majorité des laissés pour compte. La bourgeoisie a une fois encore serré les rangs face à la peur et la haine que lui inspirent les révoltes populaires.

Pour ce qui est des forces armées, il est à noter qu’existe en son sein un fort courant conscient des problèmes de la population. Le colonel Gutiérrez ne s’est-il pas référé, lors de son action, à la Révolution de Juillet (mouvement de jeunes militaires) qui, en 1925, fit tomber le pouvoir des banquiers ? Ainsi, le 21 janvier, il s’est agi d’une révolte de soldats et de colonels (contre leur hiérarchie) ayant choisi d’appuyer les indigènes alors que les généraux, eux, restaient « légalistes ». Selon l’ancien président Mahuad, le fait que le haut commandement militaire ait appuyé Noboa, alors qu’il annonçait qu’il poursuivrait sa politique économique est la preuve flagrante du ressentiment des militaires à son égard à la suite de la signature des accords de paix avec le Pérou en 98, de la réduction du budget consacré aux forces armées, de l’alignement de leurs soldes sur les salaires des fonctionnaires et de l’arrêt d’achat d’armes. Le haut commandement jurant aujourd’hui que Mahuad voulait perpétrer un auto-coup d’État pour disposer des trois pouvoirs et qu’il leur en avait fait la proposition à mots couverts ! Par ailleurs, il est indéniable aussi que les États-Unis ont tout intérêt à ce que le gouvernement de Quito et les forces armées équatoriennes soient à sa botte : le pays a une frontière avec la Colombie, qui permettrait de pénétrer le territoire colombien pour lutter contre les FARC en cas de « nécessité »… ou d’échec des négociations entre le président Pastrana et le premier mouvement de guérilla de Colombie (15 000 combattants).
 

Les perspectives pour le secteur indigène et populaire

Les indigènes se sentent trahis et même si Vargas (président de la CONAIE) « assure aujourd’hui que l’Équateur ne sera pas le Chiapas », il déclare s’armer… de patience pour résister et se tenir prêt. Le mouvement indigène a déjà prouvé sa capacité à la mobilisation et à la paralysie du pays à plusieurs reprises depuis 1990 et le putsch manqué du 21 janvier le conforte dans son envie et la possibilité d’exiger des changements significatifs.

La CONAIE, qui s’est créée dans les années 80, regroupe les « nationalités » indigènes et représente 30 % de la population du pays (sur 12,4 millions d’habitants). Grâce au soulèvement de 90, une relation s’établit entre l’État et les indigènes : le gouvernement ne peut plus faire alors l’économie d’écouter la voix des peuples natifs (la Direction nationale d’éducation bilingue voit le jour). En 1994, la création du Secrétariat des affaires indigènes est symbolique ; bien que cette institution ne réponde en rien aux besoins de la population indigène, elle constitue le début de la reconnaissance officielle d’êtres « culturellement différents ».

En mai 1996, le Mouvement d’unité plurinational pachakutik-nouveau pays (MUPP-NP), qui regroupe des organisations indigènes, des entrepreneurs, des syndicats et des groupes écologistes, participe aux élections générales et obtient : un député national, sept députés provinciaux, quatre mairies et soixante conseillers municipaux. Macas, alors président de la CONAIE, devient ainsi le premier député national indigène. Cette « entrée en politique » a notamment permis au mouvement indigène de s’ouvrir à d’autres secteurs populaires et d’élargir sa plate-forme de revendications : en 1998 et en 1999, il s’unit aux secteurs populaires lors des manifestations contre la politique économique de Mahuad. Il ne s’agit plus simplement d’exiger la reconnaissance d’un état pluri-ethnique et multi-culturel, mais bien d’une lutte unifiée de personnes vivant les mêmes difficultés sociales et économiques.

Aujourd’hui la CONAIE demande un plébiscite sur la légitimité de l’action du 21 janvier, la dollarisation, la restitution des dépôts gelés, la corruption et les privatisations en cours. Si le président Noboa ne répond pas à sa requête, il lui faudra présenter 605 000 signatures sur le bureau du Tribunal suprême électoral avant le 20 février pour que la consultation ait lieu le 21 Mai, date des élections locales… et si l’appui des partis politiques est pratiquement nul, bon nombre d’équatoriens aimeraient que le plébiscite ait lieu. Par ailleurs, la CONAIE a lancé un nouveau mouvement qui « ratisse » du centre à la gauche : le Front de Salut National 21 janvier et propose la candidature de Gutiérrez à la présidence. La pression est donc forte sur la classe politique. Premier signe, l’annonce la semaine dernière du dégel des dépôts bloqués l’an dernier.

Ima Llumpay