Berlin, no man’s land, toujours en chantier

A propos du 50e Festival de Berlin

Prenzlauer Berg à Berlin Est, Kreuzberg à Berlin Ouest, centres anciens de la contestation, affichent encore sur leurs murs des slogans : « Deuil + colère = résistance » ; « Oui sont les héros, qui sont les terroristes ? » ou « Chasser les nazis, garder les étrangers » et le plus célèbre de tous : « Étrangers, ne nous laissez pas seuls avec les Allemands ! ». (1) C’est important de le souligner, car avec la disparition du Mur, les graffiti ont disparu aussi. Attendons, si les Berlinois ne finiront pas par inscrire des choses sur les murs (verre et métal) des multiplexes où se déroule le 50e Festival de Berlin, dite « Berlinale ».

Berlin a toujours connu des luttes ouvrières, des luttes révolutionnaires et leur contraire, car c’est bien à Berlin qu’on a jeté les cadavres de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht dans le Landwehrkanal. Les films du Festival ont reflété l’histoire, les spectateurs ont exprimé leur contestation ou leur adhésion des visions proposées. Berlin était le seul Festival tampon et agent de liaison entre l’Est et l’Ouest, ce que Godard a très bien montré dans « Allemagne Neuf Zéro » avec ex-Lemmy Caution alias Eddy Constantine dans le rôle de l’agent oublié qui n’arrive pas à rejoindre l’Ouest. Depuis la chute du Mur, Berlin est entré dans la ronde capitaliste des Festivals, rendant encore plus âpre la lutte entre Berlin, Cannes et Venise. De Faßbinder, l’enfant terrible malmené, couronné quelques mois seulement avant sa mort avec Veronika Voss, on est passé à Wim Wenders, sans se poser la question de ce qui les reliait, ne voyant que ce qui les séparait. Pourtant les deux cinéastes travaillent l’identité allemande flottante, entachée de honte et de culpabilité. Le film de François Ozon Goutte d’eau sur pierre brûlante réalisé d’après deux pièces de Faßbinder, les films allemands en compétition dont un Schlöndorff sur l’histoire d’une terroriste de la RAF (Fraction Armée Rouge) vont sûrement relancer la question.
Félix
L’île dans l’île, Berlin est tellement un symbole que la ville a du mal a prendre figure. Le Festival 2000, basé Potsdamer Platz, sera inauguré par un thriller de Wim Wenders : The Million Dollar Hotel, avec Mel Gibson et Milla Jovovich.  Jeanne Moreau recevra l’Ours d’Or pour sa carrière. Occasion de voir Mademoiselle de Tony Richardson sur un scénario de Jean Genet. Le « Panorama », section parallèle, programme des films sur les différences, attribue un « Teddy » (ours en peluche) pour le meilleur film gay et lesbien. On y trouve Drôle de Félix, le nouveau film de Olivier Ducastel et de Jacques Martineau, réalisateurs de Jeanne et le garçon formidable. Félix descend de Dieppe vers Marseille pour rencontrer son père qu’il ne connaît pas. On sait bien, ce n’est pas le but du voyage qui est intéressant, ce sont les rencontres qu’on fait : Félix, Sami Bouajila, beur, assiste à un crime raciste (dans une ville ordinaire), rencontre une vieille dame délicieuse (Patachou), trois enfants qui ont la même mère (Ariane Ascaride), mais trois pères différents, avale les cachets de sa tri-thérapie et retrouve son copain à l’arrivée. Un film gourmand de la vie, loin des idées reçues. Le parti pris, montrer la vie de couple de deux hommes qui s’aiment, est réussi. En plus c’est un film où l’on chante et s’amuse beaucoup. Sortie parisienne en avril.


Le Forum du Jeune Cinéma privilégie comme toujours les documentaires de tous les coins du monde, mais reprend aussi des films inédits comme le sulfureux Beau Travail de Claire Denis. Depuis Chocolat, largement autobiographique, l’aspect métissé du cinéma de Claire Denis est évident. Dans tous ses films le désir transgresse les barrières de la couleur de la peau. Beau travail se passe dans une section désœuvrée de la Légion étrangère, à Djibouti. Adapté d’un roman de Melville, Claire Denis prend le risque de bâtir son film autour d’un conflit d’obéissance, de montrer un monde d’hommes, fermé et dépassé. Elle travaille le conflit idéologique, ne cédant rien au folklore homoérotique des corps, toujours à moitié nus. Leurs mouvements deviennent chorégraphie du désir. Ce sujet mélo est sauvé de la fatalité par la mise en scène et les acteurs : Denis Lavant, Grégoire Colin et Michel Subor. Sortie en mars 2000. (a suivre).

Heike Hurst (Fondu au Noir)

(1) Emmanuel Terray, Ombres Berlinoises, Ed. Odile Jacob, 1996.
 

Ima Llumpay