EXPO
Les fauves ou la couleur conquérante
de liberté
Ils ont peint notre visage en bleu et vert
; ils ont baigné d’orange le ciel aux arbres rouges et le soleil,
par eux, devint noir, aussi noir que le contour appuyé de nos paupières.
Leurs paysages se sont transformés en zones cloisonnées et
incandescentes, tels des vitraux laïcs et insolents que, sans doute
eût aimés Gauguin. Et dans cette nature surréelle,
contrastée et vivante jusqu’à la violence, ils ont disposé
nos corps nus, déformés, surexprimés et surexités,
enfin sexués.
On les appela « Fauves » car libres
et redoutables sont les félins parcourant les espaces rescapés
de la civilisation humaine. Le Musée d’art moderne de la Ville de
Paris leur consacre une exposition jusqu’au 27 février.
Tout commença au Salon d’automne de
1905. Dans la salle 7, Derain, Matisse, Vlaminck, Manguin, Marquet, Camoin
osèrent s’affranchir du réel en présentant des tableaux
aux couleurs arbitraires, contrastées et saturées. L’exposition
d’aujourd’hui se veut en effet européenne : elle tente de montrer
les parenté stylistiques éventuelles entre les expressionnistes
de « Die Brücke » à Dresde, les recherches de Jawlenski,
Kandinski et Münter à Murnau et à Munich, les recherches
russes du « Valet de carreau », la place de Munch, etc. Du
coup, tous ces mouvements, si riches, si denses qui caractérisent
l’art dans le premier quart du XXe siècle, s’ils ont le mérite
d’être représentés, ne le sont forcément que
très partiellement. Il y a par ailleurs un parti pris « matissien
» dans les commentaires inscrits sur les cimaises et dans le catalogue
qui me paraît relever davantage du chauvinisme que de l’analyse objective
de la situation esthétique d’alors ; n’oublions pas qu’au moment
du fauvisme, Picasso, lui, s’engage sur des recherches formelles et non
chromatiques, qui le mèneront au cubisme.
Cependant, il y a les œuvres et la joie pure
de leurs couleurs éclatantes est toujours communicative aujourd’hui.
Il me semble qu’on est ébloui, encore par cette explosion sans retenue
des rouges, bleus, jaunes de Vlaminck, quand la couleur se jette à
notre visage comme une claque, au-delà de toutes les règles,
invincible et imparrable, comme peut l’être l’élan de la liberté
enfin conquise.
Lors de son séjour à Londres,
Derain voit les œuvres de Turner, son aîné, et ce dernier
le conforte dans la voie choisie. Derain, Braque sont ceux qui harmonisent
le mieux la construction et la force coloriste, tandis que Vlaminck suit
son instinct, ses sensations, cette part mystérieuse et inconnue
de nous-mêmes qui parfois nous effraie… et c’est justement cela que
j’aime chez Vlaminck.
Notons enfin le point commun au Fauvisme et
aux mouvements picturaux qui l’accompagnent : c’est cet intérêt
pour la figure humaine, masculine ou féminine, ce goût de
la représentation du corps ou du visage exprimée avec énergie,
en lignes épaisses, saturées jusqu’à la déformation.
On sait que Matisse va évoluer vers
une simplification maximale des moyens picturaux tandis que les possibilités
expressives de la couleur vont conduire d’autres peintres vers l’abstraction.
On en prend conscience en regardant les trois Marines de Nolde de 1910
et 1911 mais aussi bien sûr, avec les œuvres de Kandinsky et Kupka.
De la figuration à l’abstraction, la frontière n’est sans
doute pas aussi étanche qu’il y paraît. En tous cas, à
l’aube du XXe siècle, quelques peintres, en célébrant
la couleur, nous ont fait franchir allègrement et résolument
le seuil de la modernité.
Yolaine Guignat
(Contre-courbe - Radio libertaire)