Autriche : la résistible ascension
du FPO
L’arrivée au pouvoir de l’extrême
droite en Autriche est peu surprenante. Elle représente l’apogée
de la montée apparemment irrésistible du FPÖ (Parti
Libéral d’Autriche) de Jörg Haider, un parti d’extrême
droite moderne et « à la mode», qui préfère
les costumes chics aux chemises noires ou brunes. Les sinistres records
en ce qui concerne le racisme (50 % des autrichiens se disent ouvertement
racistes dans les sondages) et le soutien électoral à l’extrême-droite
de M. Haider (28 % pour le FPÖ, 50 % du vote ouvrier) ont été
préparés et favorisés par des facteurs très
spécifiques à l’histoire autrichienne. L’hypocrisie d’une
nation, dont une partie très importante de la population a accueilli
avec enthousiasme le retour du « fils perdu » en 1938, pour
se déclarer après 1945 « première victime du
nazisme ».
Les affres de l’électoralisme
C’est une interprétation de la démocratie
représentative très originale qui ne donne même pas
aux électeurs l’illusion de pouvoir influencer la politique du gouvernement.
Quasiment déconnectés des résultats électoraux,
les deux partis majeurs du pays, conservateurs et sociaux-démocrates
se partageaient le pouvoir depuis les années 80. Dans ce contexte,
le minuscule parti national-libéral que M. Haider dirige depuis
1986 apparaît comme la seule véritable alternative au cartel
du pouvoir. Enfin, la chance de l’extrême-droite autrichienne a été
de s’épargner les rivalités entre différents chefs.
Avec un potentiel comparable à celui de la FPÖ, l’extrême
droite allemande, et plus récemment la française, ont minimisé
leurs résultats à cause de querelles personnelles.
Les réactions des autres gouvernements
européens sont nettement plus violentes qu’à l’époque
de la coalition de M. Berlusconi avec les néofascistes en Italie.
Ce changement d’attitude semble plus être motivé par l’inquiétude
des politiciens européens de voir arriver au pouvoir un parti ouvertement
anti-Europe et anti-Maastricht que par des réflexions humanistes.
De toutes façons, il ne faut surtout pas compter sur les «
résistances » gouvernementales. Dans quelques semaines, le
nouveau gouvernement autrichien sera complètement intégré
dans les institutions européennes. Le fonctionnement de l’Union
européenne, qui impose l’unanimité sur beaucoup de questions,
ne leur laisse pas le choix.
La riposte nous appartient
Nos véritables alliés dans le
combat contre l’extrême-droite sont naturellement ces manifestants
et manifestantes qui assiègent courageusement et infatigablement
les institutions étatiques à Vienne depuis une dizaine de
jours. Le 2 février, à l’occasion de la conférence
de presse qui annonçait l’arrivée au pouvoir de l’extrême
droite, 500 personnes manifestaient devant le parlement. Le 3 février,
ils étaient 20 000 devant la chancellerie du président autrichien.
Le 4 février, les protestations réunissaient 10 000 antifascistes,
5 000 le lendemain.

Ils et elles ont occupé le théâtre
national, les bureaux du parti conservateur et le ministère des
affaires sociales, paralysé la circulation dans la capitale, bombardé
d’oeufs et de tomates obligeant le nouveau gouvernement à
passer par un tunnel souterrain le jour de son inauguration à la
chancellerie présidentielle. Elles et ils ont réussi à
rétablir une culture de résistance et de protestation dans
un pays qui était depuis trop longtemps caractérisé
par la paix sociale et le partenariat patrons-syndicats. Pour l’instant,
le plus grand risque pour ce mouvement semble résider dans
l’orientation de la critique et de la propagande antifasciste vers le passé
et quelques citations de M. Haider à propos du nazisme, plus qu’envers
l’actualité de la FPÖ et de sa politique gouvernementale.
Un des slogans emblématiques du mouvement
de protestation, « Haider est un fasciste » (et il existe de
bonnes raisons de le caractériser ainsi) pourrait avoir un effet
boomerang : il évoque chez les autrichiens des images collectives
collant étroitement aux expériences nazies. Ces images sont
trés précises. Si le nouveau gouvernement ne construit pas
de camps de concentration, s’il n’attaque pas la liberté de la presse,
s’il ne harcèle pas la communauté juive, si son racisme ne
semble pas être fondamentalement plus agressif que celui des ses
prédécesseurs (qui n’était déjà pas
mal), l’opinion publique se calmera assez vite, les forces progressistes
libérales s’arrangeront avec les nouveaux maîtres, le mouvement
antifasciste se retrouvera blâmé, accusé d’hystérie
et d’obsession de la persécution.
Un programme déjà rodé
: la politique sécuritaire
Le véritable danger n’est pas celui
d’un déjà-vu des années 30 (des camps de concentration
pour isoler des éléments subversifs ?). Pour eux et leurs
idées, l’isolement est déjà un fait, en France comme
en Autriche.
Le véritable danger du nouveau gouvernement
autrichien est qu’il pourrait servir de modèle à une version
dure de la « démocratie », inspirée par le «
zéro tolérance » made in États-Unis et les régimes
autoritaires d’Asie (Singapour), où la moindre faute est suivie
d’une punition draconienne, où la prison remplace le RMI, où
le travail forcé remplace les indemnités de chômage,
où les gouvernements se réjouissent du recul du chômage
dû au retour des femmes dans leurs foyers. De l’autre côté
de la frontière, le FPÖ a déjà toutes les chances
de servir de modèle, le triomphe de l’extrême droite autrichienne
coïncidant avec la débâcle de la droite traditionnelle
allemande.
Des cinq thèmes emblématiques
du FPÖ que sont le racisme, la lutte contre la corruption et les privilèges,
l’opposition à l’Union européenne, la libéralisation
de marché du travail et le renforcement des mesures sécuritaires,
le FPÖ ne peut jouer tranquillement que la carte sécuritaire.
Les réglementations racistes resteront
probablement dans le cadre de la (honteuse) normalité européenne,
le FPÖ ne fera pas à ses ennemis ce cadeau sur un terrain où
il se sent constamment surveillé et critiqué. Pour la petite
histoire, rappelons que le ministre de l’intérieur allemand, le
social-démocrate Otto Schily, a récemment refusé une
discussion à la télé avec M. Haider parce qu’il craignait
d’être soutenu par celui-ci dans son interprétation ultra
restrictive du droit d’asile !
Le discours « anti-corruption »
va bientôt se taire parce qu’une fois arrivé au pouvoir, le
FPÖ entrera lui-même dans cette logique politicienne qui mêle
intérêt «public» et intérêts «personnels».
Les menaces de blocage vis-à-vis de l’Union Européenne, faciles
à formuler pour un parti d’opposition au parlement, sont difficiles
à traduire en politique gouvernementale, surtout dans un pays dont
l’économie est orientée vers l’exportation et le tourisme.
La déréglementation du secteur
de travail provoquera nécessairement des désaccords entre
le FPÖ et son électorat, composé en grande partie du
monde ouvrier et de défavorisés. Par contre, sur la politique
sécuritaire, Haider et sa clique se retrouvent en phase avec sa
base et ses partenaires conservateurs, mais aussi avec beaucoup de ses
« ennemis » d’Autriche et d’Europe. Pour satisfaire ses électeurs
mais aussi pour « compenser » les brutalités de la libéralisation,
le FPÖ doit donc concentrer son intérêt sur la politique
sécuritaire. Dans cette démarche, il risque d’être
approuvé et de finir la période législative (quatre
ans) plus renforcé qu’affaibli, démystifié et usé
par le pouvoir.
Vive la solidarité internationale
Nos camarades autrichiens sont déjà
les premières victimes d’un durcissement des «actions»
des forces de l’ordre : matraquages fréquents, arrestations, utilisation
des canons à eau (la première fois depuis 10 ans), et ce
malgré la grande popularité des protestations à Vienne.
Nous, anarchistes, constatons sans joie maligne une fois de plus les perversités
du système parlementaire représentatif. 28 % des autrichiens
ont voté pour M. Haider. Les sondages montrent une stable majorité
défavorable à la coalition droite-extrême droite.
Beaucoup d’électeurs des conservateurs
sont furieux car personne, chez les conservateurs, n’osait avant les élections
évoquer la possibilité de s’allier à extrême
droite. Une fois le scrutin terminé, les électeurs n’ont
plus de contrôle sur les décisions des députés,
pourtant censés les représenter. Les députés
sont irresponsables (dans le double sens du terme) là-bas comme
ailleurs. Et là-bas comme ailleurs, c’est à nous à
prendre nos affaires en main. Les camarades antifascistes autrichiens le
savent bien. Ils ont souligné à plusieurs reprises l’importance
du soutien international à leur cause. Ils la réclament dans
leurs manifestations : « Hoch die internationale Solidarität
! » (vive la solidarité internationale !).
Martin. — groupe FA de Lille