Soyons réalistes : exigeons la répartition
des richesses
On nous le dit avec force médiatique
: tout va bien pour l’économie française. L’inflation est
maîtrisée (même pas 1 % aujourd’hui, le plus bas chiffre
depuis 1957), le commerce extérieur est excédentaire comme
il ne l’avait jamais été (plus de 110 milliards de francs
d’excédent en 1999) et la compétitivité comme la productivité
sont à de hauts niveaux comparés à des pays similaires.
Pendant la crise, la croissance continue et le PIB est passé en
francs constants de 4000 milliards de francs à 8500 milliards de
francs entre 1970 et 1999. Même le chômage a baissé
selon les nouveaux chiffres du Ministère, de 150 000 en deux ans.
Une cagnotte pour la tirelire des patrons
En plus, mais la presse en parle moins, d’autres
indicateurs sont également positifs pour les capitalistes et les
gouvernements. Il en est ainsi des niveaux de profits. Leur part dans la
valeur ajoutée n’a jamais été aussi forte. Les profits
sont aujourd’hui à près de 40 % du PIB. La part des salaires
et des cotisations sociales n’a jamais été aussi basse dans
le PIB ( 52 % contre 60 % en 1980). Pour tous ces chiffres de source
INSEE, voir « Economie et société française
depuis 1973 » de Eric Tournier, édition Nathan ou, mieux,
« Le nouvel esprit du capitalisme » de Luc Boltanski et Eve
Chiapello, édition Gallimard. De même, l’autofinancement des
entreprises n’a jamais été aussi important. Plus de 120 %
d’autofinancement : cela veut dire qu’elles peuvent financer elles mêmes,
à partir de leurs profits, leurs investissements au-delà
du montant de ceux-ci. Cela veut dire que les entreprises ont des profits
à ne savoir qu’en faire. Et tout cela, une fois dégagés
les profits distribués aux actionnaires qui sont eux aussi largement
en hausse. Alors elles les placent sur les marchés financiers, d’où
l’explosion de la bourse. La capitalisation boursière de Paris est
ainsi passée de 2 600 milliards de francs en 1993 à 5 500
milliards de francs en 1997. Rien qu’en quatre ans, cela veut dire que
le revenu lié aux actions a plus que doublé.
Et en plus les recettes fiscales sont plus
importantes que prévu. C’est la fameuse histoire de la cagnotte.
Trente milliards au bas mot en 1999 et sans doute beaucoup plus. La même
chose est à prévoir pour 2000. On ne saura jamais dans cette
belle démocratie ce qu’il en est vraiment. C’est là qu’on
s’aperçoit qu’on est géré par des «Jean-Foutre»
que nous n’accepterions même pas dans les diverses associations où
nous sommes engagés. Imaginez un trésorier d’une association
ou d’un syndicat qui ne dise pas ce qu’il y a sur les comptes ! Le ministre
peut le faire. Bienséant, le gouvernement affecte ce surplus à
la réduction du déficit budgétaire (qui a déjà
été réduit depuis 10 ans), histoire de confirmer aux
capitalistes qu’ils peuvent continuer à avoir confiance en la France
pour faire des profits.
On comprend que nos politiciens soient embêtés
par cette situation. Il commence à se dire trop fort et trop souvent
que ça va bien et Jospin, comme les patrons, sait que ce n’est jamais
bon pour les revendications salariales et populaires. Effectivement, les
revendications se réveillent et les conflits se multiplient aujourd’hui.
Principalement, autour de la question des 35 heures et de la hausse des
salaires. Et surtout, se multiplient les conflits gagnants ! Ceux qui luttent
parviennent à renverser la vapeur et à instaurer un rapport
de force favorable. Et plus que jamais nous avons raison de lutter car
la situation économique brillante s’accompagne logiquement d’une
dégradation de la situation sociale car les profits des uns se font
sur le dos des autres.
D’un côté, pauvreté, précarité
et chômage se répandent. Tous les chiffres montrent que les
emplois précaires se développent et sont devenus le premier
contact des jeunes avec l’emploi. La précarité et le
chômage sont récurrents car le principe est d’alterner les
périodes de travail et les périodes de chômage tout
en prétendant lutter contre le chômage. C’est ainsi que plus
de quatre millions de chômeurs et quatre millions de travailleurs
précaires existent dans le pays. Ainsi, pendant que 3 % de la population
se partagent 15 % de la richesse nationale, 55 % de la population doit
se contenter de 17 % de cette richesse nationale. Se répand ainsi
l’insécurité économique et sociale qui s’accompagne
d’une difficulté d’accès aux soins, à la formation,
à la culture, aux loisirs. Il faut ainsi finir le mois avec 500
francs et, dans ces conditions, on comprend que ce ne sont pas les plus
pauvres qui luttent le plus.
La part salariale : une peau de chagrin
De l’autre côté, flexibilité
et productivité se répandent pour les salariés. Ceux
qui travaillent sont soumis à des rythmes de travail et à
une pression de plus en plus forte de façon à faire de la
productivité pour produire des richesses qui ne leur profitent que
peu. Que ce soit le taylorisme ou les modèles de travail managérial
qui prétendent le dépasser, le travail est toujours fondé
sur une mainmise des patrons sur les corps et les têtes des salariés.
La flexibilité se développe ainsi de manière fulgurante,
déstructurant les temps de loisirs et le temps où nous ne
sommes pas disponibles pour le patron. Et les 35 h servent essentiellement
à ça comme s’en aperçoivent de plus en plus de travailleurs.
Enfin, c’est la restriction budgétaire
dans les services publics. C’est la façon pour faire de la productivité,
diminuer l’emploi et moins taxer les entreprises et les riches. Et tout
le monde voit aujourd’hui que cela mène à des services de
santé dépassés par une épidémie de grippe,
à des queues qui s’allongent aux guichets et surtout à des
services publics pour lesquels le souci du malade, de l’élève,
de l’usager est passé à la moulinette de la baisse des dépenses
publiques. Le service public devient alors cette espèce de nécessaire
dû aux pauvres qui peut donc se dégrader tandis que les autres
sont poussés vers le marché (cliniques privées, écoles
privées, entreprises privées de courrier…).
Il ne faut alors plus s’étonner que
cette société produise de la croissance et des profits comme
de la relégation sociale et de la violence. Les deux vont de paire
et la route peut mener à encore plus de croissance et de richesses
et toujours plus de pauvreté et de violences comme le montrent les
pays anglo-saxons. Il ne reste plus alors, à l’instar de ce que
montre Loïc Wacquant (dans " Les prisons de la misère ", éditions
Raisons d’agir) qu’à criminaliser la pauvreté et renforcer
l’Etat pénal. Plus la répartition des richesses est inégale
et plus il devient difficile de vivre ensemble sereinement et c’est heureux
que ceux qui en sont exclus le fassent savoir et que la majorité
laborieuse ne soit pas une majorité silencieuse. La répartition
des richesses n’est pas une vieille lune utopique mais un choix de société
réaliste pour continuer à vivre ensemble.
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