CINÉMA
Berlinale 2000 : Des films à la traîne
des événements
Révolution digitale ? Révolution
numérique ? Sony organisait dans sa tour une projection «
Haute Définition » du film de Wim Wenders The Million Dollar
hotel. But de l’opération : convaincre la profession encore
réticente de l’efficacité du transfert 35 mm en images haute
définition. Un projecteur HDTV (Haute définition TV) coûte
encore 100 000 DM soit plus de 300 000 F. Sony a investi la Potsdamer Platz,
sa tour que surplombe une coupole de verre et d’acier est une des plus
belles bâtisses du nouveau centre de la Berlinale 2000, autour de
la Potsdamer Platz. La seule révolution dont il était question
dans le 50e Festival de Berlin, était donc technologique… Les cris
autour de l’arrivée de Di Caprio (The Beach de Danny Boyle,
d’après le livre de Alex Garland) n’ont pas fait taire les écologistes
thaïlandais qui avaient dénoncé les destructions massives
de zones côtières protégées, où le tournage
du film avait eu lieu. Ils demandent 20 millions de dommages et intérêts
à la 20th Century Fox…
Politiquement, les films sont donc à
la traîne des événements. Schlöndorff traite à
travers le destin d’une jeune femme ex-terroriste de la RAF vivant sous
une fausse identité en RDA un thème délicat car après
la chute du mur, la RDA avait livré ces repentis aux autorités
fédérales alors qu’elle avait refusé auparavant l’extradition
au nom d’une lutte anticapitaliste commune. Film sans génie cinématographique,
pourtant inspiré par la trajectoire réelle de Inge Viett,
il ne nous surprend jamais. Die Stille nach dem Schuß (Le
silence après le tir) évoque le terrorisme des années
60 en se concentrant sur les choix d’une femme éliminée sans
scrupules par le terrorisme d’Etat.
En revanche Heimspiel de Pepe Danquart
s’attaque à la coexistence toujours conflictuelle des deux ex-États
allemands : ce documentaire brillant raconte l’histoire d’une équipe
de hockey sur glace de l’ex-RDA. Leur dopage est naturel, inter-allemand.
Il suffit de jouer contre une équipe ouest-allemande et la montée
d’adrénaline est garantie. L’envie de s’agresser entre supporters
d’équipes adverses est évitée, est même rendue
impossible. Dans le stade, ils ne peuvent se rencontrer, le terrain les
sépare. Voila à quoi sert le génie allemand de l’organisation.
Le pavé social dans la mare des drames
relationnels et familiaux ordianires arrive avec La voleuse de Saint-Lubin.
Basé sur un fait divers, une mère de famille démunie
vole de la viande dans un supermarché, Claire Devers récrée
l’histoire de Françoise Barnier, traînée par deux fois
devant les tribuanux. Dominique Blanc qui l’interprète joue tout
en finesse cette femme simple et droite qu’on ne peut humilier. Elle vient
d’une famille où être pauvre n’est pas une honte ».
Le film motre comment le FN local cherche à exploiter cette affaire.
Diffusé par Arte le 18 mars, la chaîne a été
amenée à brouiller le sigle FN dans plusieurs séquences
pour éviter un procès.
Les autres thèmes récurrents,
l’usure des sentiments, la recherche d’une famille de cœur sont particulièrement
bien traités dans les films français sélectionnés
par les différentes sections du festival. Ainsi, Gouttes d’eau
sur pierres brûlantes de François Ozon avec Bernard Giraudeau
qui campe un séducteur-jouisseur sans scrupules, est tourné
d’après une pièce de jeunesse de Faßbinder. Un couple
d’homosexuels qui pourrait être père et fils, leur existence
petite-bourgeoise basée sur la domination et la soumission «
où celui qui aime souffre toujours plus », est enregistré
froidement, témoignant de la tragédie de la fin d’un amour.
Gouttes d'eau sur pierres brûlantes
Mo de Fu Quin Mu Quin (la route
qui mène à la maison), film tourné dans une campagne
aride où la venue d’un instituteur et la construction d’une école
vont transforme une jeune fille contemplative en amoureuse transie suractive.
Commentaire laconique des administrateurs du village « notre premier
cas d’un amour si franchement déclaré ». Au cinéma
on apprend parfois concrètement des choses : ici, comment sont réparés
les bols en céramique : une ficelle tient les différents
fragments ensemble, tisse sa toile d’araignée. Puis de minuscules
trous sont percés à plusieurs endroits. Des agrafes métalliques
tiennent les parties disjointes ensemble. Un chef-d’œuvre d’art et de tradition
populaire. L’interprète (on dirait une petite sœur de Gong Li) se
joue de tout cela. Elle balaie tous les obstacles. Comme Yu kong, elle
déplace les données et les traditions du village, mais elle
ne le fait pas pour construire le socialisme, elle le fait pour que l’instituteur
qu’elle aime, revienne au village. Dommage qu’une musique mielleuse et
tonitruante gâche un peu ce bijou.
Un autre film travaille le même filon,
mais de façon ironique, c’est Paradiso, sept jours avec sept
femmes de Rudolf Thome, qui laboure la terre de l’utopie avec sérénité.
Un compositeur invite, pour fêter ses 60 ans, les 7 femmes de sa
vie. Rencontre de tous les dangers : sa première femme est devenue
religieuse, son fils dont il ne s’est jamais occupé, l’assomme d’un
bon coup de bâton, mais tout le monde va planter un arbre (Thome
n’a peur d’aucun cliché) se mettre à boire, à manger
et à danser.
À côté de ce déferlement
de pays riches, le film simple de Nuri Bilge Ceylan semble venir d’une
autre planète. Mayis Sikintisi, (soucis de mal), film turc,
est la description laconique des conditions sociales de la vie en Anatolie.
C’est aussi une réflexion sur la Turquie rurale, sur les rapports
entre jeunes et vieux, ruraux et citadins, grands-parents et petits-enfants,
père et fils etc. Un vieux lutte pour garder les arbres qui entourent
son champ. Le fils cinéaste, au lieu de filmer l’histoire de ce
combat solitaire, s’engage dans la voie du conformisme et reste totalement
fermé aux soucis de son père. Un film minimaliste qui exige
patience et écoute. Mais qui vous récompense par la sensation
agréable d’avoir vu la vie et ses flèches prêtes à
partir. La réalité sociale émerge des gestes simples,
des épreuves réelles et imposées. Un bonheur.
Heike Hurst (Fondu au Noir-Radio libertaire)