CRISE DE FOI
Cachez-moi ces dessins !
Il y a deux siècles, la nudité
des statues comme celle représentée sur les tableaux choquaient
les cathos. Ils parlaient d’« incitation à la débauche
». Deux siècles plus tard, les puritains reviennent en force,
non par le nombre de leurs adeptes mais par la justice en traînant
les dépravés et leurs œuvres démoniaques aux tribunaux,
afin de faire interdire l’exposition qui à elle seule menace le
monde civilisé dans lequel nous avons la joie de vivre. C’est ainsi
que le musée d’art contemporain de Lyon s’est vu attaqué
en justice par l’association « Action pour la dignité humaine
» pour « atteintes à l’ordre public et incitation à
la débauche » après avoir accroché des bandes
dessinées où s’accumulent des fesses, des sexes érigés…
Il s’agissait d’une expo de représentation de BD pour adultes sur
la science-fiction. Un huissier de justice (qui, lui, porte atteinte au
genre humain) est donc intervenu afin de faire décrocher les planches
de BD, mais les représentants du musée ont refusé.
C’est alors que porté par la puissance de Dieu (qui était
très en colère), l’association a entamé une procédure
d’urgence en justice. On les comprends… il en dépend de l’avenir
de l’humanité.
Ils ont gagné en référé.
Le musée a donc été condamné à payer
tous les frais de justice (5 000 F) et à accrocher une pancarte
où l’on prévient les visiteurs que certaines esquisses sont
« réservées à un public averti ». Jugement
hypocrite puisque ces pages de BD font partie d’albums déjà
publiés et en vente ! En fait, n’importe qui peut porter plainte
contre une image un peu crue pour « pornographie » ou «
outrage aux bonnes mœurs ». En l’absence de définition juridique,
c’est au juge de déterminer si l’image est condamnable ou non. Il
s’agit en réalité de faire interdire toute représentation
de la sexualité. Cela incite déjà à l’autocensure,
les éditeurs craignant de perdre des procès. La punition
pouvant aller jusqu’à 500 000 F d’amende et trois en d’emprisonnement
! À Angoulême, où à lieu le festival de la BD,
les dessinateurs tentent de s’organiser contre cette censure, mais sur
les plaquettes de présentation n’apparaît aucune dessin de
nu… Quant à l’affiche de Crumb, elle n’a pas été éditée,
car trop crue et pouvant choquer.
Les puritains n’aiment pas le plaisir sexuel
ou les nus représentés dans la BD ; en revanche, ils ne paraissent
pas dérangés par les publicités de la télé
ou les femmes sont des objets, ni par les BD guerrières venant du
Japon : cela est dans la norme de la société qu’ils défendent,
celle contre laquelle nous luttons.
Régis Boussières. — groupe Kronstadt
(Lyon)