Charbons ardents

Jean-Michel Carré

Autogestion ouvrière au pays de Galles

Depuis longtemps les mines sont fermées, le charbon dépassé, les terrils fleuris. En littérature, dans les luttes ouvrières d’un autre siècle, la mine est éternelle. « La tragédie de la mine » que Pabst réalisa au début des années 30, raconte l’intervention de mineurs allemands pour sauver leurs camarades ensevelis de l’autre côté des grilles frontalières. C’était réellement arrivé ! « L’utopie, c’est la vérité de demain », disait Victor Hugo. À Tower Colliery dans le pays de Galles, ce demain se pratique depuis quelques années déjà. La décision de Thatcher et de la British Coal de fermer la mine, remonte à 1993.

Les mineurs font et réussissent une grève très dure. Ils arrachent de haute lutte une indemnité de licenciement. Ils se lancent dans une expérience de gestion ouvrière unique au monde : l’autogestion de la mine ! Les mineurs deviennent propriétaires et actionnaires de leur entreprise. Dynamisés par un homme exceptionnel, Tyron, mineur issu d’une famille de mineurs ­ son arrière grand-père l’était déjà ­, ils croient en leur charbon, se donnent les moyens de moderniser la mine. Les 260 mineurs investissent leurs indemnités de départ, 80 000 livres (environ 800 000 F). Mais les sommes considérables ne suffisent pas pour relancer la mine dans de bonnes conditions. Ils la rachètent en 1995, après avoir appris à démarcher, à trouver de nouveaux débouchés, à augmenter leur production.

Ils entreprennent des travaux pour plus de sécurité, plus de confort. Ils élisent leurs directeurs, embauchent des gestionnaires et un comptable, planifient et organisent leur travail. Comme le dit un des leurs leaders syndicaux : « nous voulions même ramener le parti travailliste à gauche »… Puisque le travail sous terre est très dur ­ et les mineurs travaillent très durement ­ ils rehaussent les salaires. En supprimant les primes, ils suppriment aussi les inégalités. Les mineurs auront des congés importants et une protection complète en cas de maladie ou d’accidents. Le taux d’absentéisme a été ramené de 30 % à 0,007 %.

Tyron l’infatigable penseur de leur passé, présent et avenir, est à l’origine de la création d’un musée où officie sa femme, où les enfants des écoles viennent prendre le charbon dans leurs mains, regarder les photos anciennes, s’immergent dans un monde ouvrier puissant et réel. Pas de passéisme ou de misérabilisme, même si sur les photos figurent enterrements et catastrophes. Tyron voit loin et réagit toujours en homme de terrain. Dans 15 ans, la mine sera épuisée. Ses projets : un hôtel souterrain pour goûter le silence. Un parc d’attraction pour créer des emplois. Au dernier coup de grisou, ils ont inventé un système d’évacuation des poches de gaz qui permettent de chauffer les maisons alentour. Avec eux : des ingénieurs géomètres pour prévenir, planifier… Entre eux des fêtes, des défilés, la fierté ouvrière. Un opéra se crée autour de leur mine.

Le film de Jean-Michel Carré raconte tout cela. Il filme pendant une année entière. Il montre aussi que l’assemblée générale des mineurs, souveraine, vote pour la réalisation de son documentaire, à main levée, à la majorité.

Heike Hurst  (Fondu au noir - Radio libertaire)