Militarisation de la société russe

Depuis l’arrivée d’Eltsine au pouvoir, le paysage économique et social russe s’est profondément bouleversé en quelques années. Le nouvel Etat russe, tiraillé entre bureaucratie et privatisation, n’a pas tardé à donner naissance à une mafia politico-industrielle et à s’enfoncer dans une misère économique profonde : 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Nous ne retracerons pas là l’histoire du chaos russe de ces dix dernières années, mais il s’agit de comprendre dans quel contexte s’inscrit l’arrivée de Poutine au pouvoir, et les raisons de la militarisation accrue de la société civile. L’actuel président russe, qui le restera sans  doute après les élections, est donc chargé de rétablir un semblant d’ordre dans le pays. Il se doit de retrouver la confiance de la population. Au niveau interne, il peut  s’appuyer sur les provinces, lui-même est provincial, ainsi que sur les classes moyennes qui sont prêtes à soutenir une relance des réformes ainsi qu’un retour à l’ordre et à la paix sociale, à condition qu’on ne revienne pas sur certains acquis.

La guerre en Tchétchénie a été un excellent moyen de ressouder une population affamée contre l’ennemi intérieur venu du Caucase, qui est bien entendu un dangereux islamiste. De nombreux jeunes hommes au chômage ont ainsi signé des contrats avec l’armée pour partir en Tchétchénie, ce qui leur assure le gîte et le couvert et une certaine reconnaissance sociale liée aux valeurs viriles associées à l’armée. Les contractuels s’intègrent d’ailleurs mieux que les appelés au fonctionnement de l’armée, car les cas de désobéissance à un supérieur (refus de tirer sur des civils) sont surtout le fait de ces derniers.

Ces valeurs sûres que véhicule l’armée, sont en train de se diffuser dans l’ensemble de la société. Le respect de la hiérarchie, le refus de toute subversion, ainsi que des rôles clairs permettant à chacun de se trouver une identité : l’importance de la virilité, et de la force masculine, un rôle subalterne pour les femmes qui ne se conçoit qu’en fonction de l’homme, il y a là tout un programme clé en main pour rétablir la paix sociale. D’où une militarisation accrue : les réservistes doivent subir l’entraînement militaire, la préparation militaire est rétablie dans les écoles,  et les médias glorifient les « grands maîtres « du passé, tel l’ex-chef du KGB soviétique. En parallèle, le budget de l’armée a eu droit à de nouvelles subventions.

En instaurant ainsi la présence de l’armée dans la vie quotidienne des individus, l’Etat russe entend mettre au pas toute une population affamée et avoir ainsi les mains plus libres pour entreprendre de nouvelles réformes économiques. Il use de ficelles déjà connues ce qui ne réduit en rien leur potentiel de dangerosité. Cette militarisation ne se fait pas sans heurts (voir ML 1195), signe qu’une population ne se soumet pas aisément.

 Gaëlle. — groupe Durruti (Lyon)