Un collège-lycée alternatif pour Tivaouane (Sénégal) ?

En octobre 1997 s’est déroulée l’ouverture d’un nouveau lieu éducatif dans cette ville du Sénégal que les lecteurs assidus du Monde libertaire et d’Alternative libertaire connaissent déjà un peu (M. L n°1132, sept. 1198, A. L n°223, déc.1999). La première rentrée s’est faite avec deux classes et 29 élèves, une troisième et une terminale, la seconde avec cinq classes et 90 élèves en novembre 1998, et enfin 158 élèves pour l’année 1999-2000, tous les niveaux à l’exception de la quatrième. Mais ce sera pour la rentrée prochaine et l’effectif devrait alors approcher les 200 élèves. Afin d’assurer les cours une vingtaine de profs viennent bénévolement en plus de leurs heures dans les établissements de Tivaouane et de Thiès (la troisième ville du Sénégal et distante d’environ 40 km. de Tivaouane). En fait ce n’est pas vraiment du bénévolat car ils ont droit à une indemnité de déplacement de 500F CFA, soit 5 francs français.

Alors évidemment ça pose de petits problèmes de fonctionnement. Les profs changent souvent et l’emploi du temps n’est pas complet. Autre menu problème, les locaux. En vérité au mois d’octobre 1999 l’A.C.A.P.E.S, Association Communautaire d’Appui à la Promotion Éducative et Sociale, nom de cette structure qui est l’émanation d’un mouvement d’éducation populaire né à la fin des années soixante, n’en avait pas. Elle s’était fait virée de locaux que le propriétaire n’utilisait pas mais dont il avait maintenant le besoin le plus urgent. Finalement, c’est un hangar abandonné ou étaient stockés des produits phytosanitaires à vocation agricole, des pesticides quoi, qui a pu être récupéré, nettoyé et aménagé en lieu éducatif. C’est-à-dire en récupérant à la hâte quelques tableaux et tables-bancs. Bien sûr il n’y a ni eau ni électricité et l’odeur persistante des produits n’est pas très rassurante.
 

La nécessaire pratique de l’entraide

Et la rentrée a pu se faire, en novembre. Comme si la situation n’était déjà pas assez compliquée, les autres écoles de la ville ont accusé l ‘A.C.A.P.E.S de concurrence déloyale. Il faut dire que celle-ci ne demande que 200 FF par an et par élève, alors que les écoles privées 1500F/mois et le collège public 100F/mois. Évidemment avec des profs bénévoles et un vieux hangar sans électricité, les frais de fonctionnement sont bien moindres. Comme de plus les résultats au brevet 1999 ont été supérieurs à ceux des écoles de Tivaouane…
Et oui, exclus du système scolaire, les élèves sont particulièrement motivés. Les profs ayant une présence aléatoire, ils pratiquent l’entraide à haute dose et sont sans doute moins angoissés qu’ailleurs par l’autoritarisme des enseignants. Ils considèrent l’école comme « une école sociale et une école de la liberté » et évoquant les profs, « dans cette école ils sont différents, ils nous encouragent et ne font pas de distinction entre les bons et les mauvais élèves ».

L’A.C.A.P.E.S ne pratique pas encore l’autogestion version Lycée Autogéré de Paris. Cependant les élèves participent à la gestion de l’école avec les enseignants et les parents, à la mise en place des emplois du temps. Mais la récente création d’un foyer socio-éducatif devrait renforcer cette cogestion de l’A.C.A.P.E.S et leur donner l’outil qui leur permettra de la rendre encore plus effective. De toute façon dans cette école ce sont les seuls à être présents régulièrement, et ce serait dommage que leur seul investissement se limite à l’organisation de fêtes diverses pour couvrir les frais de fonctionnement.

De plus il est apparu nécessaire qu’elle s’ouvre sur l’extérieur. Une occasion lui tend les bras par l’intermédiaire du guichet d’épargne et de crédit des femmes qui recherchent des personnes pour faire de l’alphabétisation et était prêt à faire venir quelqu’un de Dakar. Ce guichet est une des composantes de l’association A.U.P.E.J, Actions Utiles Pour l’Enfance et la Jeunesse évoquée dans les articles du M. L et d’A. L cités plus haut ; A.C.A.P.E.S fait aussi partie d’A.U.P.E.J, il y a donc sûrement un moyen d’utiliser les compétences de chacun.

De même, grâce aux dons récupérés en 1998 pendant la tournée du fondateur d’A.U.P.E.J, Moussa Diop (M. L n°1134, oct.1998) un local a pu être construit. Et celui-ci abrite la seule bibliothèque scolaire de Tivaouane, bibliothèque que les Acapiens fréquentent très peu. Le problème des situations d’urgence et de précarité c’est qu’elles vous empêchent souvent d’avoir une bonne lisibilité de votre environnement immédiat et des compétences qu’il recèle.
 

Une réussite qui fait des envieux

Les A.C.A.P.E.S avaient pour objectif à l’origine de s’occuper des enfants en échec scolaire et en rupture avec l’école. C’est à l’évidence la fonction que remplit celle de Tivaouane, il faut dire qu’au Sénégal, avec un enseignement fait en français, la langue maternelle étant le ouolof et un examen à l’entrée en sixième qui voit chaque année environ 80 % des enfants y échouer, il y a de quoi faire.
Dans ce contexte pour le moins hostile, est-ce que l’A.C.A.P.E.S de Tivaouane pourra garder le hangar abandonné qu’elle a nettoyé et aménagé ? Rien n’est moins sûr, il n’y a pas de bail. Cependant des négociations sont en cours avec le préfet et Moussa Diop était en décembre plutôt optimiste.

Est-ce qu’elle pourra faire face aux 200 élèves qui s’annoncent à la rentrée 2000 sachant qu’elle est déjà très proche de la saturation en termes d’espace, d’encadrement pédagogique et bien sûr financièrement ? Les seuls financements sont les frais de scolarité payés par les élèves, les bénéfices aléatoires des fêtes et les 1000 FF de l’A.C.A.P.E.S de Dakar, mais qui sont remboursables.
Enfin, les marabouts qui dans cette ville sainte sont excessivement puissants et richissimes laisseront-ils se développer un enseignement laïc et à caractère social et dont l’ambition est de participer à l’aménagement d’espaces intégrateurs pour la mise en œuvre de véritables alternatives éducatives et sociales ?
 

 Olivier Clairat